S’entraîner intensément

Bonjour et bonsoir tout le monde.

Onegaishimasu.

Ce matin je voudrais commencer par la lecture du Shokushu n19, « La volonté ».

« La volonté concentrée pénètre même la pierre. Cet état d’esprit qui naît naturellement fait taire même l’orage et le tonnerre. 

D’où vient cet état d’esprit ? La personne qui accomplit des tâches importantes comprend ce pouvoir par expérience. Lorsque nous calmons les ondes de notre esprit, des molécules aux atomes en passant par les électrons, nous faisons l’expérience de notre grande volonté, qui est la volonté universelle. »

Aujourd’hui je vais parler de la phrase de Tohei Sensei:

« La pratique n’est pas une question de durée d’entraînement, mais d’intensité de l’entraînement ».

Certains d’entre vous suggèrent souvent des idées de sujets que je pourrais aborder pendant ces cours, et j’apprécie cela. Continuez à le faire. Cependant, veuillez noter que le fait que je choisisse une phrase de Koichi Tohei Sensei ou quelque chose que Shinichi Sensei a enseigné, ou quelque chose que j’ai moi-même abordé dans le passé, n’est pas vraiment le sujet. Quel que soit le sujet que je présente, ou que je suggère, ou que je cite, j’enseigne toujours la même chose : la pratique du shugyo

En d’autres termes, cette pratique shugyo consiste à être intensément présent dans le moment présent, quoi qu’il arrive. C’est notre pratique, et que nous soyons dans le dojo ou en dehors du dojo ne fait aucune différence. Cette approche produit le type d’intensité dont Tohei Sensei parle ici. Il parle de l’intensité d’utilisation de notre esprit, et non de l’intensité dans l’utilisation de notre corps. L’esprit mène le corps, donc si l’utilisation de l’esprit est intense, l’utilisation du corps est intense. Si l’utilisation de l’esprit n’est pas intense, quelle que soit l’intensité avec laquelle nous essayons de faire agir le corps, cela ne devient que stress, tension et auto-torture. Cela ne mène qu’à l’épuisement, et non à l’éveil.

Il m’a fallu beaucoup, beaucoup d’années pour être capable de comprendre cela, sans même parler d’être capable de le dire à quelqu’un d’autre. Au début, nous recherchions tous l’intensité corporelle, et c’était très compétitif. Nous nous battions tous les uns contre les autres pour voir qui pouvait faire la méditation la plus longue, le misogi le plus stressant, crier pendant une heure, peu importe si votre gorge saignait. Il était courant de rester assis pendant une heure pendant que le professeur enseignait, puis d’avoir à se lever soudainement à sa demande pour l’attaquer, même si vous n’aviez plus de circulation sanguine ni de sensation dans les jambes. C’est de l’idiotie, les amis, pas de l’intensité. 

J’entends des gens dire : « Si seulement nous avions le genre d’entraînement que vous aviez dans le temps, Sensei, alors nous serions vraiment développés ». Mais les amis, mon véritable développement n’a commencé que très récemment, au cours des 20 dernières années. Pendant les 30 premières années de mon entraînement, j’ai mis à l’épreuve dangereusement mes capacités physiques, détruisant progressivement différents aspects de mon corps (ce dont je souffre aujourd’hui) et n’arrivant à rien. Mais bien sûr, j’ai continué. D’une manière ou d’une autre, j’ai eu la perspicacité et la volonté, enfin, peut-être était-ce l’entêtement de l’ego, mais j’ai persévéré. Et c’est parce que j’ai persévéré que j’ai finalement pu commencer à comprendre. 

Parfois, les gens me demandent : « Comment se fait-il que vous soyez devenu Hachidan, et qu’on vous ait donné tant de responsabilités ? » Eh bien, je leur réponds toujours que c’est parce que j’étais « le dernier qui restait ». Et dans un sens, c’est vrai. Tohei Sensei n’a pas eu beaucoup d’autre choix que de me donner ce rang et ces responsabilités, car la plupart des autres ont abandonné. Rappelez-vous, j’ai 10 ans de plus que Kashiwaya Sensei, Shaner Sensei, ou Tabata Sensei. Les gars de mon âge, vous n’en avez jamais entendu parler, parce qu’ils sont partis. Ils ont tous abandonné, peut-être parce que ce type d’entraînement ne leur a pas permis de s’éveiller, ou peut-être simplement parce qu’ils n’avaient pas la volonté de continuer. 

Je pense qu’il est important de comprendre la nature de l’intensité. S’il s’agit d’une véritable intensité, alors elle nous donne un aperçu de notre pratique et nous développe réellement afin que nous puissions être de meilleurs êtres humains, plus altruistes, plus aimants, nous sentant égaux à tous, ni supérieurs, ni inférieurs. 

Lorsque nous parlons de l’aspect pratique d’un entraînement intense, la clé est de toujours se rendre disponible et venir. Comme vous le savez, le premier des quatre éléments de la pratique est « toujours être présent ». Si nous ne sommes pas présents, il n’y a rien à expérimenter. Bien sûr, se rendre disponible et venir signifie être présent à chaque cours, chaque séminaire, chaque atelier, et chaque activité d’Aïkido à laquelle nous pouvons assister, de sorte que nous soyons toujours présents pour ce qui pourrait se passer pour nous, à l’intérieur ou à l’extérieur.

Bien sûr, assister ou non à des événements, c’est voir cela d’un point de vue relatif et dual. Mais à un niveau plus unifié, se rendre disponible signifie être présent à chaque instant. C’est la pratique de shugyo. L’intensité réelle de notre pratique consiste à être présent à chaque instant. C’est le premier des quatre éléments de la pratique. Écouter et être ouvert est le deuxième élément. Etre attentif sans hésitation ni distraction est le troisième élément, et le quatrième élément consiste à accepter ce qui arrive et à passer à l’instant suivant. 

En d’autres termes, il s’agit d’une pratique qui ne s’attarde pas sur le passé, ni ne se tourne vers l’avenir. Peu importe que nous trouvions l’instant présent insignifiant, peu importe l’importance de l’instant suivant, nous devons développer la volonté et la perspicacité nécessaires pour rester présent dans l’instant présent. C’est très difficile à faire. C’est suivre la voie de l’univers, qui est de ne jamais être ailleurs. 

Ok, donc nous pratiquons de cette façon, que nous assistions à un cours comme celui-ci, que nous soyons en classe ou que nous fassions de la respiration Ki, ou de la méditation Ki, ou de la méditation esprit et corps. Qu’il s’agisse de mouvements d’entrainement avec le bokken ou simplement de l’action de s’en saisir, que nous ouvrions la porte de la voiture ou que nous la conduisions, que nous saluions quelqu’un ou que nous écoutions et interagissions avec quelqu’un, que nous saluions en entrant sur le tapis d’entrainement ou que nous saluions en en sortant. C’est toujours le moment présent. Parce que c’est le seul moment où la vie existe. Tout le reste est simplement imaginé. Le passé est un souvenir, et le futur est un espoir ou une inquiétude. Ces deux-là, le passé et le futur, sont « penser à la vie » par opposition à « vivre la vie ». Vivre complètement sa vie, c’est juste être dans un état d’attention, et c’est cela l’intensité de notre entraînement.

Ok, faisons un peu de Respiration Ki :

Respiration Ki – 20 minutes

Méditation Ki – 12 minutes

Méditation esprit et corps – 13 minutes

Quelque part dans mon livre « Ki Aikido à Maui », notre manuel d’entrainement, il est dit que « votre pratique doit refléter l’intensité de la traque d’un tigre ». Avez-vous déjà observé un chat, peut-être dans votre jardin si vous avez des chats, traquer une souris, un oiseau ou même un cafard ? Ils font cela avec une attention de 100%. L’intensité d’un tigre qui traque, c’est donc cela.

Mais laissez-moi vous donner un autre exemple qui, je pense, clarifie ce que j’essaie de dire sur la nature de la véritable intensité. Une montagne et une vallée existent comme des opposés l’une de l’autre dans notre monde. L’une est très basse et l’autre très haute. N’est-ce pas ? Mais en fait, l’une ne peut exister sans l’autre. Une montagne est là à cause de la vallée. Sans la vallée, la montagne n’est pas une montagne, et vice versa. La vallée ne peut exister sans la montagne. Sinon, il s’agit d’une plaine, plate. Ainsi, tout comme l’homme et la femme, le grand et le petit, ici ou là, tous les opposés n’existent que grâce à l’autre. Ils dépendent complètement les uns des autres pour leur existence.

Tout est interdépendant de cette façon, et nous le sommes tous également. Ainsi, quoi qu’il nous arrive dans cette vie à chaque moment, que cela nous plaise ou non, nous devons admettre que cela est nécessaire à notre propre existence. Nous devons être complètement conscients et présents et ne pas nous laisser abattre par le fait de plus ou moins aimer ce qui nous arrive. Tout comme en méditation, notre intensité est maximale lorsque nous ne sommes pas distraits par des pensées de comparaison, de perturbation, de négativité, d’inquiétude, de stress, etc. L’intensité est très calme et très tranquille. 

Ok, alors, si vous avez des commentaires sur l’intensité que vous aimeriez partager avec nous, ou des questions, prenez la parole et faites le s’il vous plaît. [Comme cette séance Zoom est enregistrée, je ne vois essentiellement sur mon écran qu’un gros-plan de la personne qui parle, et très peu d’autres visages. Il ne sert donc à rien de lever la main. Je ne peux vous voir que lorsque vous commencez à parler. Donc, prenez la parole, et je vous verrai.]

Étudiant : Bonjour, Sensei. Bonjour, tout le monde. Oui, j’ai tellement de questions liées à ce sujet particulier. Je pense à l’intensité un peu comme le tranchant d’une lame, quelque chose comme ça. Et donc, il y a aussi l’opposé, la fadeur, n’est-ce pas ? Et c’est comme si la fadeur ne semblait pas être là simplement à cause de la pensée. C’est comme s’il y avait autre chose qui se passait. C’est comme si mon expérience de la vie manquait parfois d’intensité sur le moment. Et donc. Je me demandais, vous savez… comme vous l’avez mentionné à la fin, les quatre principes de la pratique. Le fait de venir et de s’entrainer encore et encore semble avoir quelque chose à voir avec tout ça. Bien sûr, avec cette intensité, et le fait d’être là non seulement au cas où quelque chose arriverait, mais l’acte de s’engager, de s’impliquer encore et encore, semble avoir quelque chose à voir avec cette sorte d’affinement, d’intensification de l’expérience. Comme ce n’est pas vraiment clair pour moi, je me demandais si vous pouviez en dire plus à ce sujet.

Ok, oui. D’abord, dis-moi précisément ce qui n’est pas clair.

Étudiant : Je veux dire, pourquoi il y a de l’obscurité dans ma vie. Pourquoi dans mon expérience de la vie il y a-t-il des moments intenses puis, parfois, plus rien?

Tohei Sensei disait souvent: « Ne mettons que des pensées positives dans notre subconscient. » C’est une chose difficile à saisir. D’abord, je pense qu’il est important de prendre conscience que nous sommes en permanence en train de pratiquer quelque chose, à chaque instant. Et que cette pratique va s’améliorant chaque fois, et que nous en ferons encore davantage le jour suivant. 

Nous alimentons constamment notre subconscient avec quelque chose. Quels que soient les jugements ou les suppositions que nous nous permettons de faire sur un événement donné, ce à quoi nous nous accrochons n’est pas seulement l’événement lui-même, mais ce que nous avons encapsulé dans une histoire sur cet événement. C’est ce que nous faisons nôtre et que nous conservons dans notre mémoire subconsciente. C’est vraiment ce que nous faisons avec notre vie, d’instant en instant. Lorsque nous réagissons à la vie, nous construisons une histoire, un drame à son sujet. Et ce drame est ce dont nous nous souvenons. Ce n’est pas l’expérience réelle, mais l’histoire que nous nous racontons à propos de cette expérience. Ainsi, lorsque nous racontons à quelqu’un d’autre comment quelqu’un nous a traité à cette occasion, par exemple, nous lui racontons l’histoire que nous avons concoctée à ce sujet, jamais la chose elle-même. Sinon, nous n’aurions aucune raison d’en parler aux autres. Et il se peut que nous fassions preuve d’émotion en racontant cet événement passé. Mais il se peut très bien que ce ne soit pas l’émotion que nous avons ressentie à ce moment-là. Par exemple, nous avons peut-être ressenti de la honte, mais maintenant, en racontant l’histoire, nous montrons de la colère. Nous construisons l’histoire autour de notre jugement et de notre réaction à l’émotion que nous avons ressentie à ce moment-là. 

Donc, ce que cela signifie, c’est que de cette manière nous vivons dans le passé, plutôt que de prêter attention au présent avec intensité. Et le fait de s’attarder sur le passé maintenant signifie que nous ferons de même demain. Alors, où est passée notre vie pendant ce temps ? Utiliser correctement notre esprit dans le moment présent, avec intensité, signifie se confronter à la vacuité du maintenant. Cela signifie être complètement à l’écoute de ce qui se passe, pas nécessairement d’une personne ou d’une musique, mais de l’océan ou des oiseaux. Ou simplement de noter la présence et de regarder cette étagère qui se trouve devant vous comme si c’était la première fois, de la voir pour ce qu’elle signifie réellement, pas seulement en termes d’idée, mais surtout en termes d’émotion.

Plus précisément, de quoi parle-t-on? De faire attention comme cela amène clarté et calme dans notre vie, à chaque instant. Bien sûr, il nous arrive tous d’être parfois et momentanément nonchalants, comme si, vous savez, nous étions un peu dans un autre monde, confronté à ce que vous avez appelé la fadeur, ou l’ennui. Cela nous arrive en méditation. Et soudainement nous nous demandons : « Qu’est-ce que je fais ? Je suis censé méditer ici, je veux méditer. »

Alors, qu’est-ce que la méditation ? Qu’est-ce que l’intensité ? Cela n’a rien à voir avec le principe d’une définition par rapport à « autre chose ». C’est juste accepter la réalité actuelle pour ce qu’elle est. C’est donc cohérent avec notre pratique de l’aikido, soit venir à l’entrainement, s’ouvrir, suivre, et accepter. Et puis, boum, nous sommes en plein dedans, complètement et intensément ! Juste par la pratique et l’entrainement. Il ne s’agit pas de juste en parler. Ecoutez attentivement s’il vous plaît. Bien sûr, je fais de mon mieux pour expliquer mais ce dont il s’agit c’est ce que nous devons faire à chaque instant, et cela signifie en ce moment même. Il ne s’agit pas seulement de mots sur la pratique, mais de la pratique elle-même. 

On pense : « L’intensité, c’est quand je vais au dojo. Je vais pratiquer intensément. » C’est bien. Allez au dojo et pratiquez. Oui, faites-le. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit quand vous êtes à la fin de votre vie, laissez-moi vous le dire. Ce qui compte, c’est d’être présent à chaque instant. On peut aller au dojo pendant une heure ou deux sur 24. Mais alors que faisons-nous les 22 autres heures ? On construit le jour d’après ! Et si nous ne construisons pas demain avec aujourd’hui, mais plutôt avec une histoire d’hier, ou un espoir de demain, alors nous allons nous ennuyer à mourir à un moment donné.

C’est donc ce que j’ai à dire à ce sujet. Merci d’avoir posé cette question. 

Ok, quelqu’un d’autre s’il vous plaît.

Étudiant : Sensei, je trouve que lorsque nous sommes constamment dans une approche relative, comme vous le dites à propos de toutes ces relativités être elles des vallées et des montagnes, etc. en faisant cela, nous construisons notre esprit subconscient. Le principe d’avoir conscience ne consiste pas à y penser, mais juste de le faire dans le moment présent. Je suppose que la mise en pratique est difficile à expliquer au fur et à mesure des étapes. Et je veux dire non pas d’y penser, mais juste être ici et être conscient de chaque réaction que nous avons dans notre esprit subconscient.

C’est le genre de chose qu’il est impossible d’expliquer ou de montrer du doigt parce qu’il n’y a rien à montrer du doigt. C’est l’opposé de tout le reste. Ou on pourrait dire que c’est l’absence de tout le reste. C’est ce que tout le reste n’est pas. C’est ce dont il s’agit avec la pratique et l’entrainement. La pratique n’est pas tout – non, c’est cela, et c’est seulement cela. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons décrire, comme regarder le visage de Vernon, ou tenir mes mains sur ma serviette, ou me gratter l’oreille, ou même, et surtout, la pure action de penser. En d’autres termes, on a beau devenir « spirituel », on n’y est pas encore. 

Un mot comme « intensité » a une grande variété de significations pour les gens, tout dépend de leur niveau de développement actuel et de ce dont ils dépendent pour avoir un sentiment de réussite et de satisfaction dans leur vie. Si nous avons besoin d’escalader physiquement une montagne pour avoir le sentiment d’avoir accompli quelque chose, alors nous ne comprendrons probablement pas ce qu’est la pratique. Mais si nous pouvons comprendre que nous n’avons besoin de rien pour être complètement intense dans notre pratique en ce moment, alors je dis « ok, peut-être ». Merci. 

Oui, je sais que c’est beaucoup. Alors continuez tous à aller au dojo. Continuez à venir à ce cours. Saisissez toutes les opportunités qui vous sont offertes. Avez-vous signé pour partager votre pratique avec moi cette fois-ci ? Vous n’êtes pas trop expert pour le faire et vous n’êtes pas trop débutant pour le faire. Un véritable expert a l’esprit d’un débutant. Et un vrai débutant ne voit que des opportunités. Alors, entraînons-nous ensemble intensément. 

Domo arigato gozaimashita.

 Merci beaucoup.