Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux

Les quatre principes de
Shinichi Suzuki Sensei

Et Alors?
Ne Faites Rien
Soyez Naturel
Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux

Onegaishimasu. Bonsoir tout le monde. Merci d’être là. Ce soir je vous lirai le Shokushu n11 de Tohei Sensei, « L’Essence du Ki ».

« Nous commençons par le chiffre un pour compter toutes les choses. Il est impossible que ce un, même sous la forme de particules de lui-même infiniment petites, puisse jamais devenir zéro. Car, de même que quelque chose ne peut pas venir du néant, un ne peut jamais naître de zéro. Le Ki universel est le rassemblement infini de particules infiniment petites. Ce Ki universel condensé devient un individu, qui à son tour condensé devient le Point Unique situé dans le bas de l’abdomen, qui à son tour condensé à l’infini, ne devient jamais zéro. De cette façon, nous ne faisons qu’un avec l’univers. Ainsi, nous réalisons l’essence du Ki. »

« Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux ». Il y a dans ce principe une notion d’équilibre, ou peut-être d’« équanimité ». Il nous rappelle que nous ne voulons pas nous retrouver piégés à nous inquiéter pour quelque chose qui a très peu de conséquences. De plus, si ce qui nous inquiète est d’essayer d’éviter l’inévitable, nous nous retrouvons bien sûr dans la situation d’essayer de résoudre un problème qui nous dépasse. Et même si, pour un problème donné, nous pensons avoir trouvé une solution externe, il se peut que le problème revienne encore et encore, jusqu’à ce que nous comprenions que c’est en nous que ce trouve la cause de ce problème. Il se peut que nous ressentions un besoin impérieux de provoquer un changement particulier, que nous soyons profondément désireux de faire bouger les choses. Si c’est le cas, c’est la chose principale dont Suzuki Sensei parlait, la raison pour laquelle il a créé le quatrième de ces principes.

Nous avons tous l’habitude de nous laisser happer par le présent et de manquer de perspective sur les choses. Ici, il s’agit simplement de maintenir une perspective; de se souvenir de ce qui compte, à la fin, et de ce qui ne compte pas. Tous les enseignements nous conseillent de vivre en ayant conscience du présent. Oui, vivons dans l’instant présent. Cependant, si nous sommes en pleine conscience, nous nous rendons compte qu’il n’est pas possible de distinguer un moment d’un autre, plus particulièrement! Il n’y a rien d’autre que cela, que ce qui se passe en ce moment, ici, ce mouvement infini, sans début ni fin. Lorsque nous ne pensons pas au passé ou au futur, ce dont nous sommes conscients est ce flux, à la manière d’une rivière, de phénomènes en mouvement constant, toujours changeants. 

Nous remarquons que lorsque nous nous inquiétons de quelque chose, nous sommes toujours dans le passé ou le futur. Il peut s’agir d’une inquiétude concernant quelque chose que nous avons dit ou fait et pour lequel nous pensons que nous n’aurions peut-être pas dû. Ou bien nous nous inquiétons de savoir si nous aurions pu faire quelque chose de mieux, et cela s’étend ensuite au futur, en pensant à toutes les choses qui pourraient mal tourner demain, à ce que quelqu’un d’autre pourrait nous dire, ou au fait que quelque chose pourrait ne pas fonctionner correctement. Notre conscience est si souvent occupée par autre chose que l’ici et le maintenant, vous n’êtes pas d’accord? 

Je dirais que cette façon d’utiliser notre attention semble découler d’une sorte d’ignorance. Par « ignorance », je veux dire que nous faisons de notre petit esprit égoïste, ou de notre ego, l’acteur essentiel de tout, le réparateur, le seul qui compte. Cela signifie que la perception qui nous guide ne s’appuie pas sur des indices situés dans le présent. Ignorance = ignorer les indices.

Certains enseignements nous rappellent que vivre pleinement sa vie est comme une danse. Lorsque nous dansons, nous ne cherchons pas à obtenir un résultat, mais nous apprécions simplement la danse pour elle-même. Et comme avec la danse, la vie a un rythme qu’il faut percevoir et suivre, joyeusement. Il ne s’agit jamais d’une corvée, mais d’une opportunité joyeuse dont il faut être reconnaissant et profiter. D’où l’expression « Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux » !

Si nous passons notre temps à nous inquiéter, nous ne pouvons pas être heureux en même temps. Alors, peut-être que la réponse à « Soyez Heureux » est la même que celle à « Ne Vous Inquiétez pas ». Et c’est d’être dans un état de présence et de gratitude d’être en vie, toujours. Au début, cela peut sembler déraisonnablement difficile, alors que cela veut simplement dire que nous ne nous permettons pas d’être trop absorbés par les choses. Nous ne sur-émotionnalisons pas les choses. En pratiquant de cette manière, nous nous rendrons compte que nous avons toujours supposé que notre petit esprit était la cause du succès dans nos vies, que c’est notre ego qui faisait avancer les choses. Cela veut dire que nous croyons que c’est ainsi que le changement se produit, et que nous en sommes responsables. 

Apprendre un savoir faire particulier, ou à « accomplir de grandes choses », comme le dit Tohei Sensei, c’est apprendre à permettre à la vie de se dérouler sans que notre arrogance personnelle ne l’entrave. Quelqu’un me demandait : « N’as-tu jamais l’envie irrésistible de corriger quelqu’un ? ». Oui, bien sûr. Je pense que tout le monde a cette envie, au moins une fois de temps en temps. Cependant, la plupart des personnes que nous avons l’envie impérieuse de corriger n’ont pas demandé à être corrigées, et ne se mettent pas à notre disposition pour que cela arrive. C’est peut être vrai, ou non, que nous avons quelque chose de précieux à partager avec les autres, et c’est peut être vrai, ou non, que nous avons plus d’expérience que ceux que nous nous sentons obligés de corriger. Cependant, le fond du problème c’est toujours que si nous voulons offrir quoi que ce soit à une personne, il faut d’abord que cette personne nous ait demandé notre avis.

Vous, les gens ici présents, en êtes un bon exemple. Même si vous n’êtes pas des étudiants actifs de la Ki Society, vous venez suivre mes enseignements. Cela signifie essentiellement que vous cherchez à approfondir votre compréhension des choses, au moins pour ce qui est du Ki Aïkido, et que c’est donc ma responsabilité de dire ces choses pour répondre à cette demande. Cependant, par exemple, ma propre famille ne me demandant que rarement d’aborder ce genre de questions, je ne lui propose pas du tout ce genre de discussions. Même quand j’ai ce qui me semble être une raison impérieuse de le faire, je dois résister.

Les conseils ne nous aident que si nous les demandons et si nous y sommes ouverts, n’est-ce pas ? Sinon, nous n’en voulons pas. Nous ne sommes pas intéressés. Il arrive même que si nous posons une question et que quelqu’un nous réponde, nous n’apprécions pas la réponse. 

C’est ici qu’il est important de garder à l’esprit ces quatre principes. « Et Alors ? », « Ne Faites Rien », « Soyez Naturel », « Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux ! ». Cela peut ressembler à des commandements, ne rien faire, être naturel, ne pas s’inquiéter, être heureux. Lorsque nous recevons ce genre de conseil, même si nous l’avons demandé, cela peut ressembler à un ordre. Et puis, comment peut-on attendre de nous que nous fassions ces choses quand l’un des quatre principes est de « ne faire rien » ? Tout l’enseignement autour de ces quatre principes, et dans un sens plus large, tout l’enseignement de Suzuki Sensei, et à l’origine celui de Koichi Tohei Sensei, consiste essentiellement à apprendre comment nous retrouver seuls, afin que nous puissions fonctionner de manière optimale. A la tempête nous préférons attendre que le vent de l’esprit se calme et que les ondes de l’esprit s’apaisent, permettant à la situation de devenir paisible d’elle-même. Nous permettons à l’univers de faire ce qu’il veut de nous. Nous vivons nos vies de concert avec l’univers et ne parlons et n’agissons qu’au bon moment, et pas avant. Il s’agit là encore d’apprendre à danser au rythme de l’univers.

En gros, une bonne règle à suivre est que si nous ressentons le besoin impérieux de parler, nous ne parlons pas. Le moment venu, la situation nous fera savoir quand il est temps de parler et nous pourrons alors faire profiter les autres de notre sagesse. Ironiquement, souvent, quand nous avons laissé une conversation suivre son cours, nous finissons par ne plus ressentir ensuite le besoin de dire quoi que ce soit.

C’est le dernier de ces quatre principes de l’enseignement de Suzuki Sensei. Je voudrais donc vous demander d’en parler vous-même. Je veux entendre ce que vous avez à dire. Vous pouvez avoir une question, ou vous pouvez avoir un commentaire. 

Étudiant : Bonjour Sensei. Le besoin que nous pouvons ressentir de s’impliquer dans quelque chose, de parler ou de ne pas parler, sans se préoccuper des conséquences de parler ou de se taire, est parfois basée sur le raisonnement « Serait-il mieux simplement de ne pas le faire ou devrais-je le faire tout en choisissant soigneusement mes mots ? ». Cela peut mener à la confusion. 

Oui. Il y a un film très connu qui est sorti il y a quelques années et qui s’appelle « Le pont des espions ». Dans ce film, Mark Rylance joue le rôle d’un espion russe qui a été capturé par les États-Unis, et Tom Hanks joue le rôle de son avocat. L’avocat explique à l’espion que les autorités américaines vont peut-être l’exécuter. L’espion semble tout à fait calme et ne se sent pas du tout concerné par cette situation. Son avocat lui demande alors : « Excusez-moi, mais comprenez-vous qu’ils peuvent vous exécuter pour cela ? Pourquoi n’êtes-vous pas inquiet ? » L’espion lui répond : « Est-ce que ça aiderait ? ». 

L’étudiant : Je vois

Quand ou si cela aidera de s’inquiéter d’une manière ou d’une autre, vous vous en rendrez compte. Ce sera clair. Voyez, le dilemme qui nous torture est cette question que vous avez posée : « Devrais-je ou ne devrais-je pas ? ». Mais c’est un faux dilemme, car quoi que nous fassions guidé par notre petit esprit, quel que soit la direction que nous choisissions, il est très probable que nous fassions les choses de travers. 

D’un autre côté, chacun de nous est le centre de l’univers, donc tout ce que nous faisons est nécessaire, de ce point de vue. Faire et ne pas faire sont deux options également possibles. Ce sont toujours les deux faces d’une même pièce. Lorsque nous nous trouvons face à deux réponses possibles pour la même question, à savoir s’il faut faire ceci ou cela, même si dans chaque cas il existe des arguments probants irréfutables, notre véritable pratique consiste à garder ces deux options présentes à l’esprit en même temps. Nous laissons simplement ces deux opposés apparents reposer en nous. Nous ne choisissons pas nécessairement l’un plutôt que l’autre. Nous n’essayons pas de les réconcilier ou d’équilibrer les deux options.

Nous attendons. Au bout du compte, les deux points de vue apparaissent comme provenant d’une même source. C’est ce que nous entendons par « les deux faces de la même pièce ». Ce n’est qu’alors que toute la pièce devient visible. Avec cette vue d’ensemble qui autorise deux points de vue opposés, nous pouvons alors tranquillement avoir les paroles ou les actes adaptés.

Dans certaines écoles de bouddhisme zen, le professeur nous pose souvent une question qui n’a pas de réponse raisonnable, comme « Quel est le son d’une main qui applaudit ? » ou « Quel était votre visage avant la naissance de vos parents ? ». Ce genre de questions est connu sous le nom de « koans » et la vie quotidienne en est remplie. En fait, si nous y prêtons une attention toute particulière, nous verrons que nos vies sont construites à partir de ces questions sans réponse, ou de ces choix impossibles. Si nous ne le remarquons pas, cela signifie que nous vivons sur la base d’hypothèses conceptuelles.

C’est une façon d’exprimer ce que nous appelons « vivre dans la réalité duelle/non duelle », et cela ne peut être abordé de façon conceptuelle. C’est ainsi que le « shoga » (la vision relative) et le « taiga » (la vision absolue) de Tohei Sensei ne sont pas considérés comme des opposés. La condition relative est finalement considérée comme un sous-ensemble de la condition absolue. Lorsque l’on commence à en faire l’expérience, le monde physique des personnes et des choses ne disparaît pas. Au contraire, il devient infiniment plus clair, avec le sentiment d’être indescriptiblement présent et plein de sens. Le miroir qu’est cet univers reflète enfin clairement qui et ce que nous sommes.

Pour être habile, pour maîtriser cela, il faut le comprendre et apprendre à écouter de telle sorte que même lorsque nous parlons, nous écoutons. Nous permettons toujours qu’il y ait une évolution dans nos vies. Nous n’essayons pas d’intervenir pour réparer telle ou telle petite chose cassée, simplement parce que nous en avons noté la présence et que cela nous obsède. Il nous est tout simplement impossible d’avoir une vue d’ensemble. Ces principes imposent que nous nous arrêtions un moment, pour « prendre du recul » ou « avoir une vue d’ensemble ». Bien sûr, il n’y a en fin de compte aucun moyen d’avoir une vue d’ensemble de la situation. C’est trop grand, trop complexe. Il y a simplement trop d’implications possibles avec chacune des choses qui se produisent, même si elles-même ne sont qu’une infime partie d’un tout. Dois-je tuer ce moustique sur mon bureau ou non ? Aussi petite soit un telle action, vous ne pouvez pas en voir les implications, même pas dans un sens relatif, et encore moins dans un sens ultime. Nous ne pouvons tout simplement pas voir le nombre infini de possibilités. Néanmoins, si nous écoutons et si nous ouvrons notre esprit, nous sommes souvent capables de saisir un peu plus la signification implicite pour nous de toute situation. Là encore, il s’agit de permettre à l’univers miroir de nous soutenir. 

L’idée même de délibérer sur une question, « devrais-je ou ne devrais-je pas », est assez illusoire. La raison pour laquelle nous enseignons tant la gratitude est que reconnaître et respecter la vie elle-même est le chemin vers l’humilité, un chemin qui nous aide à faire moins souvent les choses de travers.

Étudiant : Merci, Sensei. 

Ok. Merci. Quelqu’un d’autre, s’il vous plaît. 

Étudiant : Sensei, c’est plus facile à dire qu’à faire ! Avez-vous des techniques ou des approches pour aider les gens qui se rendent compte que … « Oh merde, je m’inquiète trop à propos de ça » ou « Je ne suis pas dans le moment présent »? Comment fait-on pour repartir d’une page blanche ? Pouvez-vous un peu développer ? 

Et bien oui. Dans la Ki Society nous disons, « Restez Centré sur votre Point Unique. »

Étudiant : Mais encore une fois, que faire si j’essaie et que ça ne marche pas ? 

Vous savez, la seule chose que tout le monde me dit toujours, c’est : « Oui, Sensei, je comprends cela, mais comment fait-on ? » En fait, si effectivement vous comprenez, c’est que vous comprenez qu’il n’y a rien à faire de particulier. Cela nous ramène à la raison pour laquelle Tohei Sensei nous a donné ses quatre principes de base, « Restez Centré sur votre Point Unique, Détendez-vous Complètement, Maintenez votre Poids par Dessous, et Votre Ki s’Etend à l’Infini ». Il nous a dit que c’était juste quatre façons de voir la même chose. Vous avez fait référence à la notion de « réinitialisation ». Eh bien, c’est une remise à zéro. Quand ça ne vas pas du tout, certaines personnes peuvent nous conseiller de « respirer profondément », et cela va probablement nous aider. Respirez profondément. Mais bien sûr, cette tension va revenir encore et encore. Alors que rester centré sur notre point unique s’adresse à ce qui se passe non seulement sur le moment mais aussi, par le fait même de devoir « rester », sur le long terme, en permanence. 

Comme vous l’avez dit, c’est peut-être « plus facile à dire qu’à faire », mais c’est pourquoi nous nous nous entrainons. Personne n’est expert en la matière au début. Il faut du temps pour devenir habile, car cela change la façon dont notre esprit fonctionne. Nous apprenons à rester centré sur notre point unique comme une façon automatique de se réinitialiser. La plupart des gens ne savent même pas qu’une telle chose est possible, et encore moins qu’elle est nécessaire. Une fois que nous avons compris que c’est ainsi que nous pouvons réduire notre souffrance et celle des autres, il est conseillé de nous y employer autant que possible.

Shinichi Tohei Sensei nous fait passer un test de Ki, et nous pouvons remarquer que notre Point Unique se déplace un peu vers le haut. Lorsque cela se produit, il dit : « Votre Point Unique est un peu haut ». À ce moment-là, certains ont tendance à devenir sérieux et à traiter cela comme un problème à résoudre. Mais il ne s’agit pas du tout de cela. Ce que Sensei nous dit c’est que nous devons devenir suffisamment habiles pour être capable de nous réinitialiser instantanément, comme ça [claquement de doigts]. Il ne s’agit pas de devoiraller s’isoler pendant une heure pour y arriver. Ce serait de l’auto-indulgence. Non. Il dit qu’il faut juste lâcher prise maintenant. C’est tout. Boom, c’est fait. C’est là-dessus que doit porter sans relâche notre entrainement, pour nous permettre de laisser tomber instantanément notre attachement à régler les problèmes, sans pour autant les ignorer ou les dissimuler de quelque façon que ce soit. Il ne s’agit pas d’enterrer quelque chose, il ne s’agit pas de l’éviter. Il ne s’agit pas de dire que nous ne ressentons rien ou que nous n’avons rien perçu. Il s’agit de savoir, d’y être et de l’accepter pour ce que c’est. Et c’est à cela que nous nous entrainons.

Une autre chose. Je crois que c’est le Dalaï Lama qui a dit : « Il y a trois choses qui sont vraiment importantes dans la vie : l’amour, l’humour et le travail. » Il dit que nous avons besoin de ces trois choses pour être heureux. Pourquoi l’humour est-il si important ? L’humour est important, comme l’illustrent les quatre principes de Suzuki Sensei. Suzuki Sensei était une personne très heureuse et pleine d’humour. Tous ceux qui le côtoyaient souvent savaient qu’il ne prenait jamais les choses trop au sérieux, du moins pas de manière complaisante. Il pouvait être très sérieux et très direct, si c’était ce qu’il fallait faire. Mais il avait un grand sens de l’humour sur lui-même. C’est la légèreté de l’être. C’est s’autoriser à ne pas s’inquiéter, à ne pas se laisser entraîner par tout cela. Encore une fois, après l’avoir côtoyé pendant plus de 35 ans, ma vision de son enseignement tient dans ces quatre principes qui permettent de se libérer du stress. Il a passé toute sa vie à apprendre à prendre les choses de façon légère, à tenir les choses de façon légère.

Nous enseignons souvent à ne pas s’inquiéter à propos de quelque chose. Pour certains, cet enseignement revient à dire qu’il ne faut ne pas faire attention à cette chose. Mais non, il ne s’agit pas de ne pas faire attention. Cela signifie que nous sommes capables de faire attention à quelque chose sans nous en inquiéter. Ainsi, prenez quelque chose de sérieux, mais ayez en une approche légère et humoristique. Entraînez-vous dur, mais restez humble et profitez-en. Cela doit devenir une seconde nature pour une personne qui s’entraîne beaucoup. Et cela ne peut se faire sans plaisir. 

Bien, cela répond-il à votre question ? 

Étudiant : Oui, Sensei. Merci.

Étudiant : Vos derniers commentaires ont en quelque sorte répondu à ma question parce que je pensais que, étant donné la gravité de cette pandémie de Covid19 que nous vivons, ne semblerait-il pas insensible de ne pas s’inquiéter et d’être heureux face à tant de souffrance ? Mais ensuite, vous avez dit « faire attention mais ne pas s’inquiéter ». Cela a clarifié les choses pour moi. 

Oui, ne vous laissez pas envahir par la souffrance. 

Étudiant : Oui. Ensuite, vos commentaires sur le silence m’ont rappelé le commentaire d’Abraham Lincoln : « Plutôt se taire et risquer de passer pour un idiot que de parler et de ne pas laisser l’ombre d’un doute. »

Très bien ! J’aime ça.

J’écoutais récemment un jeune professeur bouddhiste tibétain. Je ne l’ai vu parler que pendant seulement 10 minutes peut-être, sur l’ordinateur, mais j’ai été incroyablement intéressé par cette personne. 

Il n’a rien dit de vraiment spécial… pas de mots comme ceux d’Abe Lincoln, rien de brillant vraiment. Il était simplement assis et parlait avec ses étudiants, et en l’écoutant, je me suis demandé ce qui nous attire tant chez une certaine personne ? Dans ce cas, j’ai décidé que c’était son sens inné de l’humour. Il ne faisait pas de blagues, à proprement parler. Mais son sens de l’humour sur lui-même et sur le dilemme de cette pratique transparaissait dans tout ce qu’il disait. C’est-à-dire le paradoxe de cette pratique, à savoir que nous devons avoir un objectif, nous entraîner dur et ne pas hésiter, et que si nous ne le faisons pas, nous n’atteindrons jamais cet objectif de pleine conscience, alors qu’en même temps, c’est la chose même qui nous empêchera d’y arriver ! C’est ironique et très drôle. Bien sûr, la solution n’est ni conceptuelle ni logique. Et ce qui est drôle c’est notre incapacité à aller dans deux directions en même temps.

Donc, lorsque nous ressentons de l’humilité et un sentiment de gratitude, alors pour moi, ce qui va bien avec cela, c’est de ne pas se prendre trop au sérieux. Cette attitude favorise l’humour. C’est avoir une légèreté d’être, prendre chaque chose de façon légère. Nous ne pouvons pas simplement le décréter. On ne peut pas espérer le créer ou y arriver. Vous savez pourquoi ? Parce que c’est déjà là. Ce n’est pas quelque chose qui nous manque et que nous devons acquérir. C’est quelque chose dont nous pouvons prendre conscience. Il s’agit de laisser les choses un peu tranquilles. De faire abstraction de nous-même. Dès lors, nous cessons de nous inquiéter, et nous pouvons être heureux.

Oui, c’est une période très éprouvante et partout il y a des gens qui souffrent, et cela peut être très inquiétant. Ce n’est pas que cela ne nous concerne pas. Ce n’est pas que nous ne faisons pas attention de ce que les gens vivent, mais notre petit esprit, notre esprit égoïste, l’esprit qui réfléchit à tout cela, ne peut pas trouver de solution en s’inquiétant. Cette inquiétude n’aidera personne. Si nous nous inquiétons, alors lorsque nous avons l’occasion de nous asseoir pendant quelques minutes avec quelqu’un qui souffre, quelle est la meilleure chose que nous puissions faire ? Peut-être partager avec lui une ironie, une histoire drôle, ou quoi que ce soit qui puisse alléger un peu ses propres soucis. Ou peut-être que le simple fait d’être là est suffisant. Je pense que cela implique quelque chose de très profond, en ce qui concerne la façon dont nous nous traitons les uns les autres, et donc aussi concernant l’importance de ces quatre enseignements. 

Ces enseignements de Suzuki Sensei m’ont été d’un grand soutien, personnellement, car ils m’ont aidé à m’ouvrir. Comme la plupart des gens, j’ai pu me prendre très au sérieux par moments. Et bien sûr, dans un certain sens, il n’y a pas vraiment de fin à cela. Cela signifie que, même maintenant, alors que je vous enseigne ces quatre principes de Suzuki Sensei, je me dois moi aussi de les prendre en compte. Je vous dis ça maintenant uniquement parce que j’ai été, et je continue d’être, ému par ces enseignements. 

Étudiant : Il y a toujours cette petite voix dans ma tête qui fait que j’ai du mal à décider si la chose que je vis est vraie ou non. Par exemple, lorsque je suis assis en méditation, et que quelque chose de votre enseignement me vient à l’esprit, ma voix peut me dire : « C’est ce qu’il voulait dire. C’est ce dont il parlait, n’est-ce pas ? » Et puis je me demande si c’est mon imagination qui crée cette expérience, ou si c’est réel ? 

Donnez-moi un exemple de cela.

Étudiant : Ok. Donc, par exemple, j’aime me promener dans les bois. Pendant que je me promène, je commence à penser à notre entrainement et à la pratique que nous avons, aux histoires et ainsi de suite, et puis quelque chose attire mon attention. Cela peut-être un arbre, et il semble si différent tout d’un coup. Est-ce le fruit de mon imagination, influencée par cette histoire dont je me souvenais ? En d’autres termes, est-ce que je vois cet arbre d’une manière différente à cause de ce que vous avez pu me dire, ou est-ce que c’est réel ? 

Quelle est la différence ? Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux. Bien sûr. Tout est réel, même en surface, et puis il y a toujours quelque chose de plus. Je dis cela parce que tout ce que nous expérimentons dans le monde relatif est un peu comme regarder par le biais d’un écran. Ce n’est pas que ce n’est pas réel, mais ce n’est pas la totalité de la réalité. Nous pouvons dire que ce que nous voyons en surface est une sorte de réalité, mais il y a toujours autre chose qui transparaît, si nous regardons vraiment. Au moment où nous regardons quoi que ce soit nous ne pouvons pas dire que ce qui se produit soit indépendant de ce que nous avons appris dans le passé. Nous sommes tout cela maintenant, et cela colore donc tout ce que nous percevons. 

Essayez cet exercice du miroir. Placez-vous simplement devant un miroir et regardez-vous en face pendant 15 ou 20 minutes. Vous réaliserez tout de suite que ce n’est pas comme ça que vous vous voyez lorsque vous vous regardez simplement pour vous raser ou vous brosser les cheveux. Vous remarquerez peut-être que vous ne ressemblez pas à ce que vous pensiez. C’est le cas, bien sûr, à un niveau très superficiel, mais il y a beaucoup plus que ce que nous pouvons remarquer au premier abord, à moins que nous n’apprenions vraiment à regarder. La clé est de voir ce qui se cache derrière ce que nous voyons. La même chose est vraie pour un coucher de soleil ou même simplement un arbre. Dans mon jardin, si je m’assieds près d’un arbre et que je le regarde pendant un moment, je commence bien sûr à voir les possibilités qui sont suggérées ou impliquées par cet arbre. Il n’y a pas de limite à ce qui est « réel » à chaque instant. Ce qui est profond dans ce processus d’observation de ce qui nous entoure chaque jour, c’est souvent de juste voir quelque chose dont nous ne soupçonnions pas l’existence.

Je dirais que, lorsque vous vous promenez et que vous contemplez ce qu’est la « réalité », et que vous voyez soudain un arbre différemment, c’est juste un aperçu de choses qui vous sont encore inconnues.

Lorsque nous remarquons quelque chose en particulier, lors d’une promenade contemplative, cela renvoie toujours à ce qui est en train de passer dans notre esprit. Alors qu’est-ce qui est réel là ? Ce que nous voyons est peut être bien plus profond que ce que nous avions à l’esprit en arrivant là. Mais je dis qu’il n’y a pas pour autant séparation. L’un pointe vers l’autre. Et tout, chaque moment est une révélation comme celle-ci. Il n’y a rien de gaspillé dans cette vie. Il n’y a pas de moment gaspillé, parce que c’est tout ce qu’il y a, ce moment. Alors comment se peut-il qu’un moment soit plus important qu’un autre ?

C’est pourquoi je dis toujours, « le plus important c’est de faire attention ». N’essayez pas de couper les cheveux en quatre. C’est comme s’inquiéter. C’est débattre avec soi-même. C’est s’agiter. Soyez juste calme, restez centré sur votre point unique. Nous faisons des suppositions uniquement parce que nous sommes mal à l’aise de ne pas savoir. Alors qu’en ayant l’approche d’un débutant, avec un esprit ouvert, nous augmentons notre capacité d’attention et de présence. Remarquez ce qui se passe, pas seulement en vous, mais aussi à l’extérieur, car il n’y a pas de réelle différence. Tout ça c’est vous. Vous percevez tout, donc tout ça c’est vous. Tout ce dont nous faisons l’expérience ici nous apprend quelque chose sur nous-même. 

Si nous pouvons simplement ouvrir les yeux et les oreilles, si nous pouvons simplement être suffisamment calmes, humbles et reconnaissants, alors nous commencerons à vraiment à prendre conscience de ce qui se passe. C’est, en soi, une forme d’entrainement. Qu’en pensez-vous ? 

Étudiant : Je pense que oui. 

Ok. Vous n’avez pas vraiment besoin de plus d’instructions que cela si vous vous en tenez à cette pratique. La prochaine fois que je vous verrai, vous me demanderez de vous redire ça. Bien sûr, c’est pour cela que nous avons une relation. C’est pour cela que nous sommes ensemble et que nous nous aidons constamment mutuellement de cette façon. 

Étudiant : J’ai une question, Sensei. Si vous êtes un enseignant et que vous adoptez ces principes, comment cela affecte-t-il ou comment cela devrait-il affecter votre style d’enseignement ? 

C’est une bonne question. Vous connaissez déjà la réponse à cette question. Lorsque Suzuki Sensei m’a confié l’enseignement après des années de préparation, j’ai fait de mon mieux pour enseigner exactement ce qu’il enseignait. Il enseignait le mercredi soir, puis j’enseignais le vendredi soir, et je ne faisais que répéter le vendredi soir ce qu’il avait enseigné le mercredi soir. J’étais très bon pour répéter exactement ce qu’il enseignait, et je pensais que les choses allaient bien. 

Puis un des autres professeurs, Larry Shishido Sensei, qui était plus âgé que moi et plus expérimenté, est venu s’asseoir et regarder mon cours un soir. Après, il m’a appelé pour parler une minute. Il m’a dit : « C’était une bonne interprétation de l’enseignement de Suzuki Sensei. Mais quand allons-nous voir ce que vous avez à offrir en tant qu’enseignant ? » Cela ne m’était jamais venu à l’esprit. J’étais complètement dans le brouillard à ce sujet. Je pensais que j’étais censé enseigner exactement ce que Suzuki Sensei enseignait. 

Cela signifiait, bien sûr, que je n’écoutais pas du tout et que je ne vivais pas le moment présent. Je ne faisais que répéter ce qui avait été fait avant. C’était peut-être instructif, voire impressionnant, mais en fait peut-être un peu terne… pas très vivant et inspirant. J’appréciais vraiment l’enseignement de Suzuki Sensei, et je pensais que ce que je faisais était bien. Mais après cela, j’ai commencé à comprendre que ce n’était pas réel, car ce n’était pas lui qui enseignait. C’était moi qui imitais son enseignement. Et ce n’est que lorsque j’ai commencé à apprendre à écouter et à être vraiment heureux de ce moment que mon enseignement a commencé à changer. 

Donc, pour répondre à votre question, je pense que ces principes nous appellent à être honnêtement nous-même en tant qu’enseignant. En tant qu’enseignant, nous ne devons jamais répéter simplement ce que quelqu’un d’autre dit. Nous pouvons faire référence à quelque chose appris dans le passé, ce qui arrive très souvent, mais nous devons alors faire l’expérience de ce que nous disons lorsque nous le disons. 

Il ne s’agit pas de donner du crédit à quelqu’un d’autre. Il ne s’agit même pas d’essayer d’être original. De toute façon, une idée originale, ça n’existe pas. Quelle que soit l’idée qui surgit lorsque nous enseignons, elle doit être vivante. C’est ce qu’on entend par « original ». Nous pouvons répéter un enseignement de nombreuses fois, mais même ainsi, il doit être nouveau pour nous au moment où nous en parlons. 

Être naturel, ce n’est pas être artificiel. C’est ça être original. Il n’y a rien d’original dans tout l’univers si l’on se base sur l’histoire, et pourtant chaque aspect de chaque instant est unique et original, si l’on se base sur la vie. Il faut simplement le vivre. Comme le dirait Suzuki Sensei, « vivre la vie complètement dans le moment présent ». 

C’est ce que la vie et la mort nous enseignent.

Merci. Et merci à vous tous.