Ne Faites Rien
Les quatre principes de
Shinichi Suzuki Sensei
Et Alors?
Ne Faites Rien
Soyez Naturel
Ne Vous Inquiétez pas, Soyez Heureux
Onegaishimasu. Bonjour à tous. Je voudrais commencer par la lecture du Shokushu #6, « Etre Détendu », et ensuite j’élaborerai un peu sur ce principe « Ne Faites Rien »
« Etre Détendu »
« Nous sommes habitués à réagir avec une nervosité inutile aux problèmes. La nervosité provoque la contraction des vaisseaux sanguins, ce qui rend difficile l’évacuation des impuretés du corps, et nous rend ainsi vulnérable à de nombreuses maladies.
Etre détendu (la relaxation) est véritablement un élixir de vie. Partageons la véritable méthode permettant de se détendre, par laquelle nous abordons chaque jour avec un esprit semblable à celui d’une douce brise de printemps. Si nous appliquons ce principe, nous n’aurons jamais à être nerveux et excités dans notre vie quotidienne. »
En entendant l’expression « Ne faites rien », certaines personnes peuvent s’imaginer que cela signifie « ne rien faire ». Mais cela ne signifie pas « ne rien faire ». Cela signifie « Ne faire rien ». Lorsque nous essayons d’induire un changement d’une façon ou d’une autre, nous nous mettons souvent en porte à faux par rapport à ce qui est nécessaire, et finissons plutôt par provoquer de la confusion. Pour se relier de manière claire et efficace avec les personnes, les objets ou les situations, nous devons rester à l’écart et permettre simplement que l’action survienne. C’est ce que signifie « Ne faites rien ».
Nous sommes habitués à ressentir des envies, puis à faire un effort pour assouvir ces envies. C’est parfaitement sensé et c’est certainement la façon dont la plupart des êtres humains fonctionnent. Cependant, la façon dont nous percevons et assouvissons ces envies n’est pas une question secondaire, mais la question elle-même, si nous voulons être un être humain véritable et efficace.
Connexion
Notre vie est faite de connexions. Lorsque nous nous asseyons pour méditer le matin, nous méditons les uns avec les autres, car nous sommes déjà tous ensemble dans cette vie.
Voici une illustration de de ce que cette déclaration implique. La première fois que je suis allé en Europe pour enseigner l’Aïkido lors de séminaires, mon voyage a duré environ un mois. A mon retour à notre dojo Shunshinkan ici à Maui, j’ai remarqué que le niveau d’énergie dans le dojo (ce que nous appelons le kiai) était un peu bas. J’en ai parlé à mon professeur, Shinichi Suzuki Sensei, qui à cette époque avait déjà cessé d’enseigner. Sensei m’a répondu : « Pourquoi cela ? Je suis sûr que ton expérience avec ces élèves en Europe était excellente. Cependant, t’es tu contenté uniquement du lien avec les étudiants en Europe, ou as-tu maintenu ta connexion avec ces étudiants ici à Maui ? »
Bien que cela se soit passé il y a de nombreuses années, j’avais déjà à l’époque déjà enseigné pendant un certain temps. Et pourtant, je ne comprenais pas encore comment nous maintenons notre connexion les uns avec les autres quand nous ne sommes pas au même endroit. Lorsque nous sommes physiquement éloignés des autres pour une raison quelconque, nous avons parfois l’impression qu’ils nous manquent. Ce n’est que lorsque nous sommes physiquement ensemble que nous pensons qu’il s’agit de la connexion la plus puissante, car nous pouvons nous appuyer fortement sur nos sens pour vérifier la réalité. Mais est-ce bien le cas ?
Pendant la pandémie de Covid-19, souvent nous n’avons pu pratiquer l’Aïkido que sur internet, via Zoom. Bien sûr, de cette façon, sans être physiquement ensemble, nous avons néanmoins une image de l’autre. Ainsi, nous imaginons être connectés les uns aux autres dans une certaine mesure, même si c’est moins que si nous étions en ‘présentiel’. Pour la plupart d’entre nous, cela n’offre pas une connexion aussi puissante que la présence physique de l’autre. Ainsi, ces sessions Zoom servent à nous rappeler ce qui nous manque. Le fait de parler au téléphone peut aussi nous donner un sursaut de sensation de connexion, même si nous pensons que c’est la moins efficace des façons, en général. Dans tous ces cas de figure, le degré d’efficacité dépend de l’effet qu’ils ont sur nos sens. Nous pensons qu’en fin de compte ce sont par nos sens que nous pourrons juger de notre capacité à nous connecter.
Cependant, permettez-moi de suggérer que nous sommes déjà et en permanence connectés avec tous et tout. A l’intérieur de nous, intuitivement et au-delà de nos sens, nous pouvons découvrir une connexion profonde avec les autres qui ne dépend en aucune façon de la présence physique des uns et des autres.
Une fois que nous avons appris à reconnaître et à pratiquer ce niveau plus profond de connexion les uns avec les autres, nous apprenons aussi une nouvelle façon de nous sentir connectés avec des événements qui peuvent se dérouler loin de l’endroit où nous nous trouvons. Par ailleurs, nous pouvons aussi atteindre un niveau encore plus profond de compréhension de ce que signifie « Ne faites rien », tout en étant efficace.
Au fur et à mesure que nous apprenons à ne faire rien, notre expérience du monde qui nous entoure s’élargit et s’approfondit.
Objections
Au fur et à mesure que nous avançons dans la vie, nous pouvons remarquer que nous ne sommes pas toujours en parfait accord avec tout le monde, ou avec tout ce qui se passe dans notre vie à chaque instant. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec chaque idée ou situation qui se présente, qu’elle provienne du grand public, de notre conjoint, ou même de notre élève ou de notre professeur.
Koichi Tohei Sensei nous a enseigné qu’à chaque fois qu’une situation difficile survient dans notre vie, que nous faisons l’experience d’une relation positive ou négative avec quelqu’un, il y a trois façons fondamentales de réagir.
Nous appelons ces trois types de réponse :
Option A, Option B, et Option C
La première, l’option A, décrit l’utilisation de la force tout en essayant d’améliorer les choses à notre profit. Disons que nous ne sommes pas d’accord avec quelqu’un. Si l’option A fait généralement référence à l’usage de la force physique, ce terme peut se comprendre de façon plus large. L’utilisation de toute forme de manipulation, d’avantage ou de techniques permettant d’avoir le pouvoir correspond à l’option A. Nous pouvons également avoir recours à l’argumentation logique, l’argent, le pouvoir du statut ou de l’autorité, ou même la loi pour satisfaire notre besoin imaginaire. Nous pouvons essayer d’utiliser ces moyens pour provoquer le changement qui nous intéresse, peut-être pas seulement chez une seule personne, mais souvent dans la communauté plus large de nos voisins.
Si nous sommes un pays grand et fort comme les États-Unis, la Chine ou la Russie, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, la force est le plus souvent le mode de réponse automatique à un défi. Toutefois, si nous sommes un pays beaucoup plus petit et moins influent, nous devrons peut-être recourir à d’autres méthodes de manipulation pour atteindre nos objectifs. Mais même dans ce cas, la plupart du temps, les tactiques sont celles de la catégorie de l’Option A.
Toutes ces tactiques de l’option A consistent à « essayer de faire quelque chose » par opposition à « ne faire rien ». En gros, cela signifie que nous essayons de forcer un changement en notre faveur. Le petit esprit shoga est la partie de nous-même qui tente de provoquer des changements. Notre ego immature se voit toujours comme le « causateur », et ne voit donc pas d’autre choix que d’exercer cette méthode encore et encore, quelque soit le nombre de fois où elle conduit au désastre. Indépendamment de notre intelligence, notre puissance ou notre sophistication, cette méthode est vouée à l’échec tôt ou, si elle semble réussir au début, tard.
La deuxième méthode, l’option B (qui vient juste après l’option A en termes de popularité dans notre société) consiste à s’asseoir et à attendre que quelqu’un d’autre s’occupe du problème. Il peut s’agir d’un ami, d’un membre de la famille ou d’un collègue de travail. Ou, peut-être plus couramment encore, nous demandons à un prêtre, à un enseignant, au gouvernement ou même à Dieu de résoudre nos difficultés à notre place.
Cette option B est très facile à voir lorsqu’elle se présente lors d’un entraînement d’Aïkido sur le tapis. Quelqu’un nous tient par derrière, ou par le poignet, et nous nous retrouvons à attendre que le « Ki de l’Univers » nous fasse bouger, ou fasse bouger notre partenaire, comme si le « Ki » était une force bienveillante conçue pour servir nos besoins mesquins. C’est comme si nous nous approchions d’une porte et, au lieu de tourner la poignée pour l’ouvrir, nous fixions la porte en priant pour qu’elle s’ouvre d’elle-même comme par magie grâce à une « autre force ». Attendre de cette façon peut sembler une chose stupide et déraisonnable, et pourtant nous le faisons tout le temps, même si c’est de manière moins évidente.
Cette approche de l’option B consiste essentiellement à se replier sur soi-même, à se considérer comme la victime d’une circonstance imprévue, tout en espérant et en priant que quelqu’un d’autre va s’occuper de ce que nous considérons comme un problème dans notre vie. De toute évidence, cette méthode est au moins aussi peu fiable que l’option A.
La troisième option que Tohei Sensei propose en réponse à un défi, et c’est l’enseignement fondamental de notre Aïkido, est l’option C. Shinichi Tohei Sensei parle de « connexion intense ». Cela peut être difficile, mais si nous voulons voir une évolution se produire dans nos vies, c’est de loin le moyen le plus efficace. De plus, cette « connexion intense » peut ne pas être ce que nous imaginons à première vue.
« Laisse toujours l’autre gagner, et alors nous serons les premiers, parce que nous étions les derniers ». Si nous pouvons comprendre cette affirmation, c’est le signe que nous avons déjà assimilé la base de cet enseignement. Naturellement, cette approche nécessite de se connecter complètement avec la personne ou la chose que nous voulons voir devenir une partie d’un changement souhaité.
Dans le dojo d’Aïkido, lorsque nous voulons faire bouger quelqu’un, nous pouvons essayer d’utiliser la force, la puissance, la force, peut-être même tromper notre partenaire avec une technique basée sur la surprise, (tout cela est l’option A), ou nous pouvons nous effondrer sur nous-mêmes, en attendant que le « Ki de l’Univers » s’en occupe pour nous, (option B). Mais si l’autre personne comprend comment se connecter à nous, et donc peut suivre de très près l’état de notre esprit et de notre corps, ni l’option A ni l’option B ne fonctionneront.
La réponse est toujours la même. Nous nous connectons simplement intensément à notre partenaire et à notre environnement. Même une religion centrée sur Dieu dit ici : « Dieu aide ceux qui s’aident eux-mêmes. » Nous devons nous manifester sincèrement, ouvrir notre cœur et notre esprit, nous unir directement à l’intention de l’autre personne et avancer avec la personne et son intention vers une solution.
Beaucoup d’entre nous peuvent être inquiets à l’idée de se connecter quand ils voient que cela nécessite de s’ouvrir à leur partenaire et de devenir vulnérables. La dernière chose que nous pouvons penser vouloir faire est de nous rapprocher de la personne que nous considérons comme menaçante pour nous. En effet, nous imaginons que, pour ne pas être blessés par cette personne, nous devons nous défendre, mentalement, émotionnellement et/ou physiquement. Malheureusement, comme nous l’apprenons en Aïkido, toute tentative de défense offre à l’agresseur une ouverture parfaite pour nous manipuler et nous contrôler. En adoptant une position défensive, nous devenons automatiquement la victime, fournissant la poignée parfaite avec laquelle un adversaire peut nous contrôler.
La dernière chose que nous pourrions penser à faire serait de nous unir à quelqu’un qui veut apparemment nous contrôler. Cela peut sembler complètement contre-intuitif. Cependant, en ayant le courage de le faire et en s’alliant avec « l’autre », nous découvrons toujours une nouvelle voie, une voie que nous n’avions jamais considérée comme une possibilité. Bien sûr, nous ne voyons ce genre d’opportunité qu’après avoir rassemblé la force intérieure nécessaire pour nous associer à « l’ennemi ».
Ce genre d’union avec ce qui se présente à nous comme un défi est ce que Suzuki Sensei entendait par « Ne Faites Rien ». Ce troisième choix, l’option C, exige une volonté de sauter en territoire inconnu.
Un autre exemple est la troisième étape de la respiration Ki, que nous appelons « musoku », ou « pas de respiration ». Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de respiration. Cela signifie que nous ne « faisons » pas de respiration. L’action de respirer a toujours lieu. La confusion survient lorsque le petit esprit s’attribue le mérite de cette action. Essayez de ne pas respirer pendant quelques minutes. Notre corps ne le permettra tout simplement pas. Il recommence à respirer dès qu’il en a besoin, quoi qu’il arrive. En d’autres termes, il n’y a personne à découvrir qui serait en train de faire quelque chose, et pourtant quelque chose est toujours en train de se faire !
Kaisho, Gyosho et Sosho :
On nous a appris à conceptualiser le processus de développement comme étant composé de stades débutant, intermédiaire et avancé. En Aïkido, nous appelons ces trois étapes « kaisho », « gyosho » et « sosho ». Si nous pratiquons avec à l’esprit ces trois stades, nous pourrions les envisager avec au début une progression pas-à-pas, un stade intermédiaire plusieurs années plus tard, et enfin, à un moment donné, peut-être l’acquisition d’une maîtrise de ce que nous pratiquons.
Shinichi Tohei Sensei aime caractériser ces trois niveaux de performance de la pratique comme suit :
Kaisho : Forme sans mouvement de Ki.
Gyosho : Forme avec mouvement du Ki.
Sosho : Mouvement du Ki sans forme.
Kaisho, « forme sans mouvement du Ki », signifie que nous faisons attention consciemment à chaque mouvement du corps, étape par étape, en nous assurant que nous agissons correctement selon la forme que nous avons apprise pour chacune de ces étapes. Cette surveillance constante empêche évidemment que s’exprime tout « mouvement du Ki » comme nous l’appelons, ou action naturelle sans direction réfléchie. Cependant, il s’agit d’un moyen efficace et nécessaire permettant de mémoriser tout un ensemble de mouvements.
Lorsque nous passons à gyosho, « forme avec mouvement du Ki », cela signifie que nous pouvons bouger tout en étant conscients de la forme, ou de chaque mouvement individuel de notre corps, mais nous apprenons maintenant à permettre au mouvement naturel de se produire. Ceci, d’ailleurs, devrait être le niveau de notre performance lors de n’importe quel test Dan, ou lors de l’exécution de techniques Taigi.
Lorsque, et si, nous passons finalement au stade sosho, « mouvement du Ki sans forme », cela signifie que nous nous déplaçons librement en réponse immédiate et directe à toute situation qui se présente sur le moment. À ce stade, la motivation intérieure et la motivation extérieure se rejoignent simultanément et non plus avec la fausse distinction de « ici » et « là » ou « maintenant » et « alors ». Nous disons « pas de forme », mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de forme particulière à notre mouvement. Le mouvement ne peut exister sans forme. Cela signifie simplement que nous ne sommes pas attachés à cette forme, et donc que nous ne nous préoccupons pas de sa justesse ou de son efficacité.
Là encore, cela revient à ne faire rien.
Le paradoxe :
Avoir une vie paisible dans ce corps revient à « suivre la voie de l’univers », et ce chemin simple et quotidien ne peut être perçu que par un esprit très calme et tranquille. Nous appelons un tel esprit « l’esprit taïga », ce qui implique un point de vue infiniment large et inclusif. La « voie de l’univers » n’est pas « la voie de la satisfaction du petit esprit ». Ironiquement, c’est la voie « haute », qui ne correspond jamais à « ma » façon de voir les choses.
Et pourtant, le paradoxe ici est que cette voie est totalement unique pour chacun d’entre nous, tout comme chaque moment de notre vie est une expérience qui nous est propre et qui n’appartient à personne d’autre. Nous sommes le centre absolu de notre propre monde d’expérience. Nous sommes tout ce avec quoi nous entrons en contact, dans notre univers de perception. Tout est nous. La totalité de notre perception est ce que nous appelons « l’univers miroir ». Réaliser et expérimenter ceci est ce que Tohei Sensei appelle « ne faire qu’un avec l’univers ». C’est commencer à reconnaître le trottoir, le mur de pierre, l’arbre qui s’étend, notre partenaire, tout ce que nous expérimentons, comme une partie de celui/celle que nous sommes. C’est commencer à reconnaître et à expérimenter que ce n’est pas seulement notre soi shoga qui est ce que nous sommes, mais tout ce qui est au-delà de l’action et de la forme.
Tout est nous. Nous sommes déjà tout ce que nous pouvons être à cet instant. Nous ne pouvons rien faire pour changer ce que nous sommes en ce moment, si ce n’est tenir bon et prêter attention, parce que ce moment est dans un état constant de flux, et ne cesse jamais. Par conséquent, dans cinq minutes, nous serons différents, changés, car ce monde qui est nous est une fête mobile. À chaque instant, nous sommes ce que nous sommes, et en même temps, c’est un état de changement perpétuel, une transformation automatique et constante en ce que nous serons à l’instant suivant. Il ne sert à rien d’essayer de manipuler, de forcer ou de comprendre, ou même de s’asseoir et d’espérer et de prier que ce soit fait pour vous. Il suffit de s’ouvrir complètement et de se connecter maintenant.
Fondamentalement, il est important de comprendre que ce « ne faire rien » est très large, dans le sens où il n’est pas limité à une action ou une non-action spécifique. Ne faire rien est un état d’esprit. Donc, soyons clairs, ne faire rien ne signifie pas « ne rien faire », ou « faire quelque chose différemment » ou « attendre de faire quelque chose », ou que cela a même quelque chose à voir avec « faire » quoi que ce soit. Non. C’est permettre à notre vie de se dérouler avec nous.
Lorsque nous mettons nos propres exigences de côté, ou du moins les mettons en attente pendant un moment, nous pouvons alors permettre à l’univers de nous guider, de nous parler, de faire ce qu’il veut avec nous. Nous pratiquons cette approche d’ouverture avec notre professeur jusqu’à ce que nous en soyons capables naturellement, et alors nous n’avons plus autant besoin d’un professeur. Tant que nous ne serons pas capables d’écouter de cette manière, avec notre professeur ou avec quiconque, nous ne pourrons jamais nous trouver au centre de nous-mêmes, et l’état de lucidité restera à distance.
Si nous entrons dans une pièce, l’action que nous entreprenons est ce que nous sommes à ce moment, et non ce que nous faisons après être entré dans la pièce. Nous nous connaissons en tant que cette action. Il ne s’agit pas de ce que nous faisons, mais de ce que nous sommes.
Connaître Keiko et Shugyo
Lorsque nous pratiquons une discipline spirituelle ou même des arts martiaux, nous entendons souvent l’expression « connais-toi toi-même ». Cela signifie, entre autres, que nous devons être capables de nous rendre compte si nous opérons au niveau keiko ou, ensuite, au niveau shugyo de la pratique, et être capables d’établir clairement la différence. Nous devons être capables de distinguer ce qui est actif en nous-mêmes. Il n’est pas si important de pouvoir en parler à quelqu’un d’autre, mais simplement de le savoir nous-mêmes, directement. Ainsi, lorsque nous réagissons suivant l’option A ou B, par la force ou par l’effondrement, nous nous faisons du tort.
Je répète toujours l’histoire de toutes ces années que j’ai passées avec Suzuki Sensei à apprendre devant un miroir comment couper avec un bokken, car elle clarifie si bien ce paradoxe de l’entraînement. Si, pendant tout ce temps, je n’avais pas eu pour objectif de bien couper, ce qui est le meilleur de la pratique du keiko, je n’aurais jamais persévéré pendant toutes ces années. Je rêvais d’être capable de couper avec un sabre en bois comme mon professeur, alors j’ai continué. Cependant, pendant de nombreuses années, je n’y suis pas arrivé, avant finalement de découvrir que si je ne n’y arrivais pas c’est que je voulais désespérément y arriver. Quand nous rêvons d’atteindre un objectif particulier, nous le projetons dans le futur, sans jamais lui permettre de se réaliser ici et maintenant. Il semble toujours hors de portée, quelque part devant nous, sans possibilité de devenir réel pour nous. Nous ne comprenons pas que la seule réalité est ce que nous sommes en ce moment. C’est tout. Il n’y a rien d’autre que ça.
Et donc, nous devons avoir des objectifs, et avoir envie de vivre et réaliser de nouvelles choses, et pour ce faire nous avons besoin d’une pratique sincère et disciplinée du keiko. Sans cette implication, nous ne serions pas capables d’accomplir les choses les plus simples. Donc bien sûr, nous en avons besoin, mais nous ne pouvons pas en être l’esclave.
Taïga :
Je suis le centre de l’univers.
Mon esprit et mon corps sont unifiés.
Je suis l’enseignant originel.
Je suis universel et je suis le centre même de cet univers qui est moi.
La façon dont nous faisons l’expérience de ces choses découle de la prise de conscience progressive de ce qui est à l’oeuvre en nous-même. C’est cela la véritable « évolution » pendant notre vie. C’est le changement. C’est ce qu’on appelle « le chemin ». Chacun fait l’expérience à son niveau de cette réalité et y fait face avec ses moyens et ses capacités propres. C’est pourquoi nos enseignants mettent continuellement l’accent sur les trois façons d’aborder les défis, afin que nous puissions apprendre à reconnaître ces différents aspects de nous-mêmes et savoir quand ils sont dominants ou quand ils ne le sont pas.
C’est en fin de compte très sensé. Ce n’est pas que nous devrions agir différemment de ce que nous sommes. Tenter d’agir comme quelqu’un que nous ne sommes pas ne fait que nous plonger dans la confusion et nous frustrer, car nous sommes qui nous sommes et ne pouvons être personne d’autre. Nous n’avons pas à faire quoi que ce soit avec notre soi, et même si nous essayions, nous ne le pourrions pas de toute façon, car nous sommes à chaque instant exactement ce qui est ici, rien de plus, rien de moins.
Cependant, quand nous prêtons attention à la réalité de ce que nous sommes à chaque instant, alors devinez quoi ? Notre pratique est devenue celle du mode shugyo. Et si nous pratiquons shugyo aujourd’hui, en prêtant attention à ce que nous sommes à chaque instant, à chaque action, alors demain notre capacité de prêter attention sera encore meilleure, et nous aurons encore plus la capacité de rester dans la pratique shugyo. Tout changement passe par la prise de conscience, l’observation.
Faire « ne faire rien » :
Étudiant : Je pense que je comprends le principe de base que vous enseignez, mais quand il s’agit de mes actions dans la vie quotidienne, je ne semble pas être capable de le faire. Je ne sais pas comment trouver mon chemin vers cet état d’esprit de « ne faire rien ». Je veux toujours réaliser quelque chose.
C’est le fait de prendre conscience qui importe. Cette observation, cette prise de conscience, est le moteur de notre véritable connexion avec l’univers. En ne nous mettons pas nous-même des bâtons dans nos propres roues, et en nous maintenant tranquillement dans un état d’éveil, nous permettons à l’univers de vivre notre vie, et de se frayer son chemin à travers nous. Cela ne nous rend pas inférieurs. Cela nous permet de faire l’expérience d’être le centre de l’univers sans essayer de l’être. Seul le centre peut permettre à tout d’être unifié, et c’est cela notre condition naturelle. Seul le centre peut ne faire rien et, en même temps, faire tout ce qui doit être fait!
N’oublions pas que ce monde est fait de conflits. Il y a toujours une chose contre une autre. Bien sûr, cesaffrontements ne sont pas forcément de simples juxtapositions intellectuelles entre les façons de penser de deux personnes, ayant lieu dans un très beau cadre paisible. Parfois, ils sont insistants et agressifs, et peuvent même être violents. Il y aura toujours des conflits dans ce monde. La bonne nouvelle est que nous ne sommes pas obligés de participer à ces conflits. Lorsque nous y participons, nous y contribuons. Mais nous ne sommes en aucun cas obligés de participer à des conflits, que ce soit contre une idée, une personne ou une situation. Nous ne faisons pas du problème de quelqu’un d’autre notre problème. Nous ne sommes pas tenus d’être la victime du problème ou des valeurs de quelqu’un d’autre.
Même si nous nous retrouvons au milieu d’une dispute, il nous toujours possible de prêter attention à ce qui se passe. Suzuki Sensei avait l’habitude de dire : « Ne soyez pas au même niveau que votre adversaire. Prenez de la hauteur, en regardant vers le bas, comme pour résoudre un puzzle ». Nous devons changer notre perspective pour voir comment les pièces s’assemblent. Nous laissons notre adversaire être en bas, tout en restant vigilant, plus haut. Notre corps et notre petit esprit peuvent même être avec l’autre personne en bas. Mais celui qui est le centre de l’univers est là-haut, la partie taïga de nous-même est toujours attentive, toujours consciente, toujours détendue, toujours à observer paisiblement la situation dans son ensemble.
C’est pourquoi Koichi Tohei Sensei disait toujours : « Le vrai calme n’est pas un état statique. » Le vrai calme n’est pas expérimenté en étant assis seul sur le canapé. Le vrai calme n’est découvert qu’au milieu d’un conflit, dans un mouvement super stressant. Il dit que c’est comme être au centre d’un cyclone, très calme. Sachez que le centre du cyclone est calme du fait de cette formidable puissance qui se déplace autour de lui, et non pour éviter cette puissance. Nous pouvons apprendre à être en présence d’un grand conflit qui est très perturbant, sans nous départir de notre calme en notre centre. Comment ? En pratiquant, en pratiquant, en pratiquant.
Rappelez-vous, nous sommes tous, en permanence, dans un processus de pratique et d’apprentissage de quelque chose, à chaque instant. Quoi que nous fassions en ce moment, nous aurons tendance à en faire davantage, et de manière plus intense, demain.
Notre pratique du « ne faire rien » consiste simplement à apprendre à remarquer ce qui se passe, à prêter attention, quoi qu’il arrive. C’est la clé. Dans les meilleurs moments comme dans les pires, lorsque notre vie est réussie et qu’elle avance à grands pas, ou quand nous sommes l’idiot le plus complet que nous puissions être. Nous n’essayons pas de changer quoi que ce soit. À ce moment-là, on « ne fait rien » !