Les cinq principes de l’Aïkido Shinshin Toitsu

Bonjour à tous. Onegaishimasu.

Aujourd’hui notre discussion porte sur « Les cinq principes de lAïkido Shinshin Toitsu »:

  1. Vous étendez votre Ki.
  2. Vous comprenez l’esprit de votre partenaire.
  3. Vous respectez le Ki de votre partenaire.
  4. Vous vous mettez à la place de votre partenaire.
  5. Vous prenez la direction des choses et bougez.

Beaucoup de gens pensent que ces cinq principes nous enseignent uniquement comment exécuter des techniques. S’il est vrai, comme pour tout ce qui concerne l’Aïkido, que ces principes servent de guides dans l’exécution des techniques, ils fonctionnent également comme des métaphores pour nos actions dans la vie quotidienne. Si nous ne comprenons pas notre pratique physique comme étant métaphorique, il n’y a pas de problème. Je ne dis pas que c’est une application incorrecte des principes. Je suggère que si nous considérons ces principes et ces pratiques comme décrivant uniquement un ensemble d’exercices et d’expressions physiques, alors nous n’en tirons pas autant de bénéfices que nous pourrions.

Pour illustrer ce point, je vais raconter une petite histoire : En 1996, mon fils, Joshua, a passé sa première année d’université à Tokyo, à l’université Waseda. A l’occasion de mon voyage au Japon cette même année, il m’a demandé de passer et de rencontrer l’un de ses professeurs, qui pratiquait également l’Aïkido. Joshua et moi lui avons rendu une brève visite à son bureau. Je lui ai demandé où elle avait pratiqué l’Aïkido. Elle a répondu qu’elle s’entraînait actuellement au Dojo Hombu (siège) de l’Aïkikai à Tokyo, mais que son professeur initial dans la région de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis avait été Mitsunari Kanai Sensei, un professeur d’Aïkido de l’Aïkikai bien connu et influent. Je lui ai demandé de me parler un peu de sa formation. Elle m’a dit avec enthousiasme combien elle aimait se retrouver à l’entrainement sur le tapis. Elle m’a dit qu’au début de la cinquantaine, elle commençait malheureusement à souffrir physiquement lorsqu’elle faisait uke et a souligné à quel point c’était décourageant pour elle. Je lui ai demandé ce qu’elle ferait lorsque cela deviendrait trop difficile pour elle de tomber pour ses partenaires. Elle a répondu qu’elle arrêterait probablement de s’entraîner à ce moment-là. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas d’autres raisons de continuer sa pratique, et elle a déclaré sans hésiter que l’Aïkido n’offrait pas vraiment plus que cela.

Cela peut surprendre, mais dans certaines écoles d’Aïkido, il y a beaucoup d’élèves sincères qui se donnent avec enthousiasme à l’entraînement mais à qui leurs professeurs ne proposent rien d’autre qu’un entraînement physique avec une petite philosophie du Ki. Ou bien, il y a ceux qui, de par leur approche de cette vie et de cette pratique, ne tirent comme bénéfice que la pratique physique.

« Vous étendez votre Ki ». Ceci est également le quatrième des « Quatre principes de base » de Tohei Sensei. 

Cependant, dans ces « Cinq principes de l’Aïkido Shinshin Toitsu », il vient en premier. « Vous étendez votre Ki » est toujours présenté comme ce qui doit être notre façon d’être avant toute action sur ou en dehors du tapis. Avant de parler ou d’agir, ou même de penser à parler ou à agir, nous devons « étendre notre Ki ». En d’autres termes, nous devons avoir conscience de toutes les possibilités qui s’offrent dans le moment avec les personnes ou l’environnement. Pour être toujours prêt et efficace, au lieu de se concentrer aveuglément sur l’action, il est toujours préférable de se concentrer sur l’écoute et l’observation. En d’autres termes, la clé de l’extension du Ki est la conscience.

« Vous comprenez l’esprit de votre partenaire ». Avec la pratique des techniques du dojo, nous apprenons à faire attention à l’intention de notre partenaire. Nous savons que comprendre l’état d’esprit de notre partenaire est très important, car c’est le moyen de nous mettre à l’unisson avec ce partenaire, et finalement de trouver une solution. Les techniques d’Aïkido ne nous montrent pas comment triompher de notre partenaire. Nous devons respecter et prendre en compte l’intention du partenaire si nous voulons être en connection et finalement ne faire qu’un avec ce partenaire.

J’ai un ami qui est un homme d’affaires et, chaque fois que je le vois, il me raconte des histoires sur ses merveilleux succès en affaires, sur l’argent qu’il gagne, sur la façon dont il se joue de ses adversaires dans telle ou telle affaire. Et il me dit : « Ce que je fais, c’est de l’Aïkido, n’est-ce pas ? Je fais cet Aïkido que tu pratiques, et je suis toujours le gagnant. Je te suis tellement reconnaissant. Je gagne toujours. » Bien sûr, ce n’est pas de l’Aïkido, et c’est une mauvaise interprétation. Je ne lui dis pas de cesser cela ou je n’essaie pas de le corriger. Il n’est pas mon élève. C’est une connaissance, un homme d’affaires. Et il me dit ça pour essayer de me montrer qu’il a de bons rapports avec moi. Il veut simplement être mon ami, mais il ne sait pas trop comment s’y prendre.

C’est un malentendu très courant, même dans le monde de l’Aïkido. Le commentaire que Koichi Tohei Senseinous faisait le plus souvent, nous ses élèves, était : « On dirait que tu veux te débarrasser de cette personne. » Il se promenait dans le dojo en nous regardant faire nos techniques et il répétait sans cesse : « Je pense que vous voulez vous en débarrasser », ce qui signifie « vous faites une erreur. Vous pensez que l’Aïkido consiste à apprendre à gagner. » C’est comme ce que faisait cet homme d’affaires, en imaginant que la vie est un concours, une épreuve de survie. C’est comme penser que lorsqu’on rencontre un ami, le plus important est de savoir comment le conquérir. C’est une grosse erreur.

Ces principes nous montrent comment dissoudre l’adversité entre deux ou plusieurs personnes, de sorte que tout le monde finit en fait par gagner, parce qu’ils sont connectés et ensemble. C’est cela le vrai succès. Toutes les parties gagnent en s’éveillant à leur connexion avec l’autre.

« Vous respectez le Ki de votre partenaire ». On pourrait aussi dire simplement : « Vous respectez votre partenaire. » Bien sûr, cela signifie que nous le respectons vraiment, et non que nous lui montrons du respect pour qu’il pense que nous faisons une chose alors que nous en faisons une autre. Une technique d’Aïkido n’est jamais une ruse. C’est les respecter sincèrement, du fond du cœur. 

« Vous vous mettez à la place de votre partenaire. » Nous avons entendu cela tant de fois et de tant de manières différentes. « Marchez un kilomètre dans les chaussures de l’autre. » Nous nous mettons à leur place afin de savoir ce qu’ils ressentent, quel est leur point de vue. Bien entendu, nous ne pouvons pas imposer notre point de vue à quelqu’un. Nous devons d’abord savoir quel est son point de vue. Nous l’invitons à nous l’exprimer et nous trouvons ensuite des moyens de s’harmoniser avec ce point de vue. D’accord ? Il s’agit ici d’unification, d’un rapprochement. L’idée n’est jamais de sortir vainqueur d’une dispute. Nous n’essayons pas de défaire quelqu’un d’autre. Il ne s’agit pas de s’en débarrasser, mais d’apprendre à l’accueillir dans notre vie.

Quelqu’un m’a demandé un jour : « C’est quoi ce truc d’Aïkido que tu fais ? » Et j’ai répondu, « C’est sur la façon de vraiment devenir ami avec les gens. » Et cette personne a pensé que je me moquais d’elle. Ou peut-être qu’elle a pensé que je me trompais. « Ce n’est pas un art martial : que faire quand un ennemi se présente ? Il faut le battre, non ? » Nous y voilà, c’est pourquoi le monde est tel qu’il est. Les gens ont un esprit querelleur. Un esprit querelleur ne voit pas d’autre moyen de faire que de se battre ou de se défendre par le conflit.

Nous disons en Shinshin Toitsu Aïkido qu’il y a essentiellement 3 façons pour les êtres humains de réagir à un défi quelqu’il soit. Je les appelle « options ». Option A : Nous réagissons par l’usage de la contrainte/coercition, en utilisant les outils de la force, de la manipulation, de l’argent, du savoir, de la technique, etc. pour obtenir ce dont nous pensons avoir besoin, ou que nous le méritons ou que nous y avons droit. Cela peut être en réaction à une personne, un pays, une communauté, toute forme de gouvernement, même l’anarchie elle-même, des animaux, le temps, des montagnes, des rivières et des forêts. (Je pourrais continuer.) Option B : Nous réagissons par indolence et ignorance, en espérant, souvent même en priant, que quelqu’un d’autre viendra et résoudra la difficulté pour nous, ou simplement en ne remarquant pas assez tôt qu’il y a un problème. Et enfin, l’option C : au lieu de réagir, nous répondons de tout notre être et en nous connectant sans intention d’aucune sorte à l’esprit. Il s’agit de se tenir tel une montagne et d’agir sans rien souhaiter, sans besoin, sans exigence et sans attente d’aucune sorte. De cette façon, nous permettons qu’il y ait non-séparation tel que c’est déjà le cas en réalité, en nous laissant envahir sans effort de cet état de façon à ce que tout autre personne comprenne que c’est comme ça que nous désirons que cela soit.

Ok. Nous avons tous pratiqué de nombreuses fois cet exercice de comparaison des options A, B et C. Si vous avez suivi des séminaires avec Shinichi Tohei Sensei, vous savez qu’il le fait souvent, et avant lui, son père Koichi Tohei Sensei le faisait aussi à sa manière. Malheureusement, souvent, en exécutant nos techniques Aïkido, beaucoup exécutent A ou B, ou une combinaison de A et B. Cette affaire de connexion directe sans aucune intention est difficile à comprendre, expérimentalement. Nous pouvons être capables de la conceptualiser, ce qui est bien, mais ce n’est pas encore C. Nous devons être capables de permettre que cela se produise en le ressentant à travers le corps. Quand nous sommes confronté à un défi, nous ne voulons ni le rejeter, ni tenter de le vaincre ou de le manipuler. Mais sommes-nous capable de suivre ces principes ? C’est ce que l’on encourage en nous. 

Le 5ème principe est « Vous prenez la direction des choses et bougez ». N’oubliez pas que ces principes décrivent ce qu’il advient si nous pratiquons réellement l’Aïkido Shinshin Toitsu. Ce ne sont pas des injonctions sur ce que nous « devrions faire ». Si nous pratiquons l’Aïkido avec le corps et l’esprit unifiés, alors nous prendrons la direction des choses avec confiance et nous nous déplacerons librement. Il ne s’agit pas d’établir ce que nous devrions faire. C’est une description, pas une prescription.

L’un des mots préférés de Suzuki Sensei était « osaeru », qu’il tenait de Tohei Sensei. On n’entend plus beaucoup ce mot, n’est-ce pas ? Je l’utilise beaucoup dans le dojo, mais la plupart des gens en Aïkido ne l’utilisent pas beaucoup. Osaeru signifie « tenir » ou « couvrir » ou « capturer », mais j’aime penser que c’est « prendre en compte ». Lorsque quelqu’un se tient devant vous avec l’intention de vous attaquer d’une manière ou d’une autre, Tohei Sensei dit que vous l’osaeru-ez. Vous le prenez en compte. Vous l’incluez. Vous l’amenez dans votre champ de conscience et l’englobez, afin qu’il devienne une partie de votre monde d’expérience.

C’est ce dont il s’agit lorsqu’il est dit : « Vous étendez votre Ki », avant que quoi que ce soit ne se produise. Et les 4 autres principes sont simultanément réalisés : « Vous comprenez l’esprit de votre partenaire, Vous respectez le Ki de votre partenaire, Vous vous mettez à la place de votre partenaire, Vous prenez la direction des choses et bougez. » Ces choses ne se mettent pas en place de façon séquentielle, sauf peut-être au début, lorsque nous nous familiarisons avec elles.

Lors de l’étude d’un mouvement d’Aïkido, il est possible que nous abordions ces principes l’un après l’autre. Par exemple avec katatedori kokyunage tenkan, nous pouvons voir facilement ce que signifie étendre son Ki, comprendre l’esprit de notre partenaire, respecter le Ki de notre partenaire, se mettre à la place de notre partenaire, puis prendre la direction des choses et bouger. C’est l’approche kaisho. Avec l’approche gyosho, puis sosho, nous commençons à faire l’expérience de tous les principes d’un seul coup. Appliquer osaerusignifie fondamentalement que ces cinq principes fonctionnent en même temps. Et finalement, osaeru devrait s’appliquer avant tout mouvement. Ueshiba Sensei, le fondateur de l’Aïkido, avait l’habitude de dire – « Avant de m’attaquer, tu es fini ! » Donc, si je suis naturel, debout, vide d’intention et donc plein de Ki, alors l’adversaire « est fini » avant le moindre mouvement. C’est le sens de l’Aïkido, il n’y a pas de victoire sur l’autre. C’est très humble.

Considérez que, de cette façon, les cinq principes de l’Aïkido Shinshin Toitsu sont réalisés en un rien de temps. Ils ne se produisent pas dans un laps de temps que nous pourrions mesurer en secondes. C’est comme ce qui se passe quand nous croisons quelqu’un que nous connaissons. Nous le reconnaissons avant de penser à le reconnaître. De même, si quelqu’un s’approche de nous à l’épicerie, au dojo ou à la plage, dès que nous en prenons conscience, nous avons appliqué osaeru. À l’instant où nous en prenons conscience, cette personne est automatiquement incluse dans notre monde d’expérience. Donc, ce n’est pas quelque chose que nous « faisons ». C’est tellement ancré que ça arrive tout simplement. C’est sosho. Au début, oui, nous devons pratiquer cela, consciemment. C’est kaisho. Mais une fois que nous comprenons comment la relation entre ces principes s’établit et que nous en prenons conscience de façon physique, nous sommes capables au moment même où nous apparait quelqu’un d’appréhender cette présence et cette personne de façon totale. C’est ce à quoi tendent ces principes.

Ok, peut-être que c’est assez, et que vous aimeriez dire quelque chose.

Étudiant : Bonjour Sensei. Merci. Oui, inclure ces principes dans notre expérience. Au dernier cours, vous avez parlé du fait que si nous nous voyons nous-mêmes comme sujet et le monde comme objet, c’en est fait de nous, nous ne parvenons pas à rester centré sur notre Point Unique. Ce n’est donc pas ce que nous sommes censés faire. Nous devrions inclure, nous devrions embrasser, nous devrions être un, pas séparés. Mais, vous savez, ce n’est pas si facile à faire, vous êtes d’accord ? On peut en parler, mais mon problème est que je ne le vis pas comme cela. Vous savez, j’ai beau m’entrainer j’ai en permanence à l’esprit l’idée d’affrontement et la dualité sujet-objet. C’est donc ce que j’ai à dire à ce sujet. Bien que vous donniez l’impression que c’est si facile et si simple, j’en suis toujours là…

Je vois, merci. Je suis désolé si j’ai donné l’impression que c’était facile. Ce n’est pas facile. Vous avez raison, c’est très difficile. Ecoutez-moi, le célèbre professeur japonais Dogen a dit que la plus vieille illusion de l’humanité est qu’il y a un soi et un autre. D’accord ? L’enseignement de Tohei Sensei est basé sur la transcendance de cette illusion. C’est ce que Tohei Sensei veut dire quand il dit : « Le but de notre pratique est de ne faire qu’un avec l’univers. »

Les Japonais sont très libéraux dans leur pratique religieuse. Le bouddhisme et le shintoïsme sont des formes très différentes de pratique religieuse. Et pourtant, dans une même maison, la famille japonaise peut vénérer à la fois le Bouddha et les dieux shintoïstes. Dans l’Aïkido nous avons également beaucoup d’influence du bouddhisme et du shintoïsme. Nous prenons à notre compte l’idée de la fin de la souffrance par l’unification, et en même temps nous honorons le pouvoir de la manifestation du monde naturel, un peu comme les religions amérindiennes. En Aïkido, ces deux éléments cohabitent très bien. Bien sûr, nous croyons à la séparation depuis que nous sommes nés, et tous les autres êtres humains que nous rencontrons souffrent de la même illusion, mettant la même interprétation des données sensorielles dans leur subconscient, encore et encore et encore. Donc, non, ça ne va pas être facile d’évoluer hors de ça.

Vous savez, je pense que tant que nous sommes en vie, cette question de la séparation reste en quelque sorte dans notre être. En fait, à bien des égards, elle doit rester en nous, car nous devons être capables de retrouver le chemin de la maison à la fin de la journée, n’est-ce pas ? Nous devons nous rappeler que notre maison se trouve dans cette rue, pas dans cette autre. La clé est de voir et d’être dans les deux mondes en même temps.

Il est important de comprendre qu’il n’est pas question de « mal » ici. Etre victime d’une illusion ne nous donne pas tort ou ne nous rend pas mauvais. Une illusion n’est qu’un malentendu ; nous ne faisons pas nos choix à pile ou face. La réalité ne se réduit pas à ça. Nous devons être capables de vivre en même temps dans le monde relatif dualiste (c’est-à-dire trouver le chemin de la maison le soir) et dans le monde absolu non duel (c’est-à-dire voir qu’il n’y a nulle part où aller). Ainsi, savoir qu’il puisse y avoir une personne qui essaie de vous donner un coup de pied, de vous frapper ou de vous nuire d’une manière ou d’une autre, tout en prenant conscience et en faisant l’expérience de l’unification, c’est l’essence même de la vie. Il ne s’agit pas de nier un aspect quelconque de ce qui se passe dans cette vie.

Dogen a dit que la plus ancienne illusion est celle du sujet/objet, oui, c’est le cas. Mais tant que nous sommes dans un corps, nous devons respecter le fait que nous sommes responsables de ce corps. Cela fait partie du respect du Ki de notre adversaire, du respect de notre personne. Nous avons choisi d’être ici dans ce corps et de passer par ce processus d’évolution, nous devons donc assumer la responsabilité de ce choix.

En même temps, nous sommes chacun le centre de notre univers, et cet univers est composé de tout le monde et de tout ce qui existe, de toute la nature, de toute l’humanité. Nous sommes tous le centre même de cet univers. Comment cela est-il possible ? Je peux vous en parler. J’y fais référence tout le temps. Mais ne prenez pas pour autant ce que je dis pour parole d’évangile. Naturellement, chacun de nous doit y venir au rythme et à la manière qui lui sont propres. Nous y arriverons, nous finirons par le reconnaître, par l’apprécier, et par en être reconnaissants. 

Quand vous êtes conditionné à avoir besoin de gagner, c’est une impulsion naturelle. Et quand vous le faites suffisamment longtemps pour vous rendre compte que cela ne fonctionne pas, finalement, vous pouvez savoir pourquoi et comment l’Aïkido fonctionne. L’Aïkido fonctionne parce qu’il est non combattant, parce qu’il n’y a pas de raison de se battre.

L’Aïkido est un non-objectif, vide de tout besoin, de toute exigence, de toute attente. Il s’agit simplement d’être présent à soi-même et à l’autre. C’est aussi naturel que d’être avec un ami, assis ensemble sans avoir besoin de dire quoi que ce soit. C’est pourquoi j’ai dit que la pratique de l’Aïkido est la façon d’être un ami. Apprenez à être un ami !

Quand j’ai commencé l’Aïkido, je ne savais pas comment être un ami pour qui que ce soit. Je n’en avais aucune notion. Je ne faisais qu’absorber pour moi-même, récolter ce dont j’avais besoin auprès du professeur et de l’enseignement afin de pouvoir aller de l’avant et être un gagnant. Être un ami, c’est soutenir quelqu’un d’autre, l’écouter, l’aider à comprendre et à être heureux.

Étudiant : Merci, Sensei. J’ai commencé à faire de l’Aïkido pour devenir invincible, Sensei. Quand j’étais jeune, je voulais devenir invincible, alors j’ai commencé à faire des arts martiaux. La dernière fois que vous êtes venu en Europe, vous avez parlé de la façon dont Tohei Sensei a dit un jour : « L’Aïkido n’est pas un art martial  ». Je me suis senti frustré et perdu. Mais maintenant, j’adore ces classes Zoom, parce qu’elles sont séparées de la pratique de techniques, de l’entraînement à être invincible. Ici, nous voyons réellement que l’entraînement est quelque chose de différent de ce que je pensais. Mais dès que je me remets à faire des techniques, les choses des arts martiaux me viennent à l’esprit : comment projeter un partenaire, comment gagner sur un partenaire, etc. Donc, dans ces cours de Zoom, les choses sont très claires. Mais dès que je commence à faire de la technique, les choses de l’art martial réapparaissent.

Vous êtes un très jeune homme, alors n’essayez pas d’être un vieil homme quand vous êtes jeune. Soyez reconnaissant d’être un jeune homme et d’avoir ces problèmes. Quand je vous entends parler de ça, je ne le ressens pas comme un problème. Je ne le pense pas. Je pense que l’univers vous accompagne, tout comme avec moi et toute autre personne, de la façon dont vous avez décidé. Bien sûr, ce genre de cours que nous donnons sur le Zoom peut être utile car nous abordons ces choses de manière très directe, nous y faisons face et nous en parlons très clairement. Lorsque nous pratiquons des techniques, nous ignorons souvent cette partie. Nous pouvons être aveugles à ce qui n’est pas visible et nous concentrer uniquement sur ce qui est facile, ce qui est visible. Et c’est pourquoi Tohei Sensei a toujours voulu que le cours de Ki soit suivi du cours d’Aïkido, parce qu’il sait que c’est la chose naturelle à faire : penser à la technique, à la dynamique du corps, à la façon de lancer et de bouger, à la beauté de la chose et au plaisir qu’elle procure. C’est très bien, tout va bien. Mais n’oubliez pas le cours fondamental de Ki. Cela vient toujours en premier.

Étudiant :  Sensei, je viens du milieu militaire, et dans l’armée, ce qui était si mystérieux et attirant pour moi, c’est que nous étions dans le « rapprochez vous, et détruisez », qui se traduisait pour moi par « séduire et contrôler », ce que j’aimais vraiment. C’était très attirant pour moi en Aïkido. Donc, au début, j’étais du genre « Non, tuons-les et c’est tout. » Et puis j’ai progressé vers « Non, contrôlons-les parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. » Cette formation est quelque chose qui me parle parce que j’étais complètement dans l’illusion, et je ne comprenais pas. J’ai transformé les principes en fonction de la façon dont je voulais les voir. Et je me retrouve constamment à penser : « Eh bien, en fait, je peux l’interpréter de cette façon. » Vous savez, c’est juste une lutte constante chaque jour avec ça. Et cette fois, d’un coté, voir les principes, juste ceux dont vous parlez aujourd’hui – les principes de l’Aïkido – a tellement de sens. Et d’un autre coté, je dirai que je pense toujours que je peux enseigner l’Aïkido comme si c’était seulement une technique, une forme, et être très bon. Ce qui signifie, bien sûr, que c’est encore un combat de tous les jours pour moi.

Ok, donc ces trois dernières personnes me disent à peu près la même chose. Et je tiens à répéter que ce n’est pas un problème. Ce qu’ils décrivent n’est pas un problème, ce qu’ils décrivent est le processus lui-même. Tout le monde – que vous ayez été dans l’armée ou non – tout le monde grandit dans ce monde avec un sentiment de séparation entre soi et tous les autres, et croit fermement que c’est exactement comme ça. Et toutes les techniques du monde sont à destination de quelqu’un qui est séparé, comme un moyen de dominer et de contrôler les autres personnes afin qu’elles ne nous dominent et ne nous contrôlent pas. Pas vrai ? C’est ce que tout le monde a sous les yeux en grandissant. C’est la façon dont tous les films, les journaux et la télévision le dépeignent. Donc, vous n’êtes pas tout seul. Le monde entier est comme ça. Pas vrai ? C’est automatique, bien sûr, tout le monde grandit comme ça, donc nous devons tous y faire face, nous sommes tous impliqués dans ce processus à un moment ou à un autre.

Et encore une fois, rappelons-nous qu’il ne s’agit pas d’une comparaison. Ce n’est pas un concours pour voir qui est à un niveau plus élevé. Ce n’est pas tant qu’il y ait un niveau supérieur ou inférieur, mais plutôt que ce soit différent pour chacun d’entre nous. Nous avons tous eu des parcours tellement différents, qui ont alimenté notre subconscient de façons tellement différentes, que même si c’est exactement la même chose qui sort de nous, c’est un ensemble de circonstances totalement différentes qui l’ont créé, qui ont provoqué le type de réactivité que nous voyons.

Donc, quand nous pratiquons l’Aïkido, nous devons remarquer ces choses pour nous-mêmes quand elles surviennent, parce que comme vous l’avez dit, nous transformons les principes pour les adapter à ce que nous croyons. Nous devons remarquer ce que nous faisons quand nous le faisons. Parfois c’est douloureux et parfois c’est juste déroutant. Et quand c’est douloureux ou déroutant, nous appliquons l’idée d’osaerusimplement. Nous l’assumons entièrement et nous méditons avec. Nous devons apprendre la patience et la gratitude. Et avec cela, nous pouvons tous continuer d’une manière très forte et utile.

Étudiant : Bonjour, Sensei. Bonjour à tous. Je me souviens que Morihei Ueshiba Sensej a dit qu’il est important que si quelqu’un nous défie, nous devons laisser cette agression à cette autre personne. De cette façon, l’Aïkido transforme l’agression en un état de non-agression. Ainsi, nos techniques doivent toujours être fortes, mais en veillant à ne blesser personne. Nous sommes des créatures très fragiles.

Ok. C’est très bien. Merci. Oui, l’Aïkido offre ce genre de soin, mais comment exactement ? Laissez-moi vous raconter une petite histoire. Ma fille est mariée à un brésilien de Rio de Janeiro. Et quand il a immigré à Hawaii, il est venu avec ses deux meilleurs amis. L’un d’eux enseigne la Capoeira et l’autre le Jiu Jitsu brésilien. Le gars du Jiu Jitsu est grand. Il est plus grand que moi de plusieurs pouces, plus large que moi et beaucoup plus fort que moi, physiquement. Je suis huitième Dan en Aïkido, alors ils étaient très curieux d’en savoir plus. Ils se demandaient pourquoi je ne parlais pas d’Aïkido alors qu’ils ne parlent que de Jiu Jitsu et de Capoeira.

Nous étions assis sur ma terrasse un soir et le gars du Jiu Jitsu se lève et dit : « Eh bien, que ferais-tu si je t’attrapais ? Je peux facilement te dominer, tu sais… le Jiu Jitsu est très puissant. » Et clairement, ce gars est un gars très puissant. Et j’ai demandé, « Puis-je me lever ? » Et il a dit avec excitation, « Oui ! » peut-être pensant qu’il allait y avoir de l’action. Comme je marchais lentement vers lui, il a commencé à sembler un peu confus. Puis je me suis retrouvé très, très près de lui. J’ai mis mon corps tout contre lui, de sorte que son visage était juste là, tout près. Je ne l’ai pas regardé fixement mais j’ai mis ma tête contre son énorme poitrine, et j’ai tenu doucement ses bras avec mes mains. Nous sommes restés comme ça pendant un moment ou deux. C’était très calme et très silencieux. J’ai levé les yeux vers lui et il avait les larmes aux yeux. Puis il a dit : « Oh… Ok, Sensei, je comprends. Merci », puis il s’est éloigné et s’est assis.

Donc, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse vraiment d’une question de technique douce ou forte. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir une technique, n’est-ce pas ?

Tout le monde dit que cette pratique est vraiment difficile. Oui, c’est vraiment difficile, mais heureusement, nous avons la possibilité de la pratiquer. Si elle n’était pas difficile, elle ne vaudrait pas la peine d’être pratiquée, n’est-ce pas ? Nous consacrons toute notre vie à cette pratique, en raison de sa valeur. Et cela nous change fondamentalement en tant qu’êtres humains. Et plus vous vieillissez et plus vous pratiquez, plus vous reconnaissez à quel point ce type de pratique est puissant et transformateur. Je suis donc très heureux chaque fois que je vous vois venir à ce cours, chaque fois que je vous reconnais ici. Donc, merci d’être venu.

Je veux vous remercier encore une fois. Domo arigato gozaimasu.